En Kabylie by J. Vilbort


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Page 12

La prenaient-ils, � cause de son grand air, pour une maraboute, arri�re-
petite-fille de la glorieuse Damia-bent-Nifak? Cette h�ro�ne, arm�e de
la _mzerag_ [Lance.], tint t�te, pendant cinq ans, aux Arabes de la
premi�re invasion. Aussi, au fond du d�sert de Barka, o� elle les avait
rejet�s, l'appel�rent-ils _Kahina,_ la sorci�re. Ou bien ceux qui
attachaient sur le G�n�ral des regards brillants d'admiration lui
trouvaient-ils un air de ressemblance avec la vaillante Chemsi-Cheikha
[Chef.], des A�th-Iraten, qui s'illustra pendant la deuxi�me invasion?
Tandis que nous gravissions, le lendemain, les montagnes de ces tribus
invaincues jusqu'en 1857, notre guide, Ma�kara, Kabyle de Tizi-Ouzou,
nous assura que cette guerri�re �tait n�e sur le piton m�me au haut
duquel il nous montrait le fort National comme un nid d'aigle. Ou bien
encore s'imaginaient-ils revoir la fameuse Lalla-Khredidja, la Vell�da
berb�re du Thamgouth, le plus haut pic du Djurjura, laquelle chevauchait
� travers l'espace sur un rocher? ou enfin Lalla-Fathma-bent-Cheikh, la
druidesse inspir�e des A�th-Illilten, qui pendant plusieurs ann�es et
jusqu'en 1857 souleva le Djurjura contre la France? Cette ann�e-l�, en
juillet, vers la fin de la grande guerre, la Kabylie vaincue, le g�n�ral
Yusuf la trouva au village de Soummeur, assise sur sa _doukana_ [Banc de
pierre.], o� elle rendait des oracles; et depuis, elle est prisonni�re
au bordj du Bachaga des Beni-Sliman, pr�s d'Aumale. Imposante et fort
belle, de la parole ou du regard, elle allumait dans les �mes le feu
sacr� de la libert�. Maintenant elle pleure, dit-on, l'ind�pendance
berb�re au tombeau, et chante parfois d'une voix dolente la complainte
h�ro�que o� un po�te djurjurien a c�l�br� sa gloire. �trange
contradiction chez ce peuple qui divinise quelques-unes de ses femmes,
et rejette toutes les autres au rang des b�tes de somme!

Le G�n�ral avan�ait en souriant � travers les feux crois�s des regards.
Madame Elvire recevait l'hommage rendu � sa beaut�, comme si elle e�t
travers� un salon de Paris; et pourtant elle �tait la seule de son sexe,
car les femmes de Kabylie ne vont pas au march�. Elle voulait tout voir,
elle vit tout. Ici, les bl�s, les orges, les pois chiches, la _bechna,_
esp�ce de sorgo que le Kabyle s�me en avril. On mesurait les c�r�ales
avec la _fernana,_ plateau en ch�ne-li�ge, � bords relev�s; ou les
vendait aussi au _tellis_ ou � la _s�a_ (� peu pr�s un hectolitre). L�,
l'huile d'olive, le goudron, le miel qu'on transvasait avec l'_habbar_
dont la contenance varie d'un � cinq litres selon les tribus. Puis, les
figues s�ches, blanches et noires, qu'on achetait au panier; le tabac en
paquets ou en feuilles; le caf�, le sucre, le benjoin qu'on vendait au
_rethol,_ la livre, ou en moins grande quantit�, car ce sont des denr�es
pr�cieuses dont les riches seuls peuvent se donner la jouissance. Et
l'eau de rose, fabriqu�e � Alger avec des g�raniums, enferm�e en de
petits flacons illustr�s, imitant ceux de Constantinople et de Smyrne;
et le terrible _felfel,_ piment rouge des Zouaoua, dont nos estomacs
gardent un cuisant souvenir. Ensuite les cotonnades qu'ils mesurent au
_dra,_ une coud�e; les laines, vendues par toisons; des _burnous_ pour
les hommes, des _ha�ks_ pour les femmes; les _gandouras,_ chemises
longues en laine, tenant lieu de culotte et de cale�on; les _djellabas,_
tuniques courtes sans manches; les _kachebias,_ blouses en laine �
manches et � capuchon. �� et l�, l'industrie d'Europe coudoyait
l'industrie kabyle: de la quincaillerie grossi�re, de petits miroirs, de
m�chants couteaux, quelques foulards aux couleurs violentes, des
allumettes chimiques portant la marque de Marseille, et jusqu'� des
crayons. Puis, � c�t� des lampes berb�res � plusieurs becs, curieusement
illustr�es et fa�onn�es par les femmes de la montagne, des gu�tres en
laine tricot�es par leurs maris; des _tabenta,_ tabliers en cuir, pour
ceux qui pressent les olives; des _gadoum,_ petites haches � double
tranchant, et des calottes de cuir ou de laine blanche, ne quittant plus
jamais, et pas plus la nuit que le jour, les t�tes qui s'en sont une
fois coiff�es. A vrai dire, beaucoup de ces hommes allaient t�te nue,
d�fiant les ardeurs du soleil africain. Cela ne se voit qu'en Kabylie:
les Arabes, sous le capuchon du burnous, ont pour le moins une calotte
ou deux; quelques-uns, les gros bonnets, en ont jusqu'� six, embo�t�es
les unes dans les autres et qui forment comme un d�me au-dessus de leur
front.

Nous avancions au hasard, r�galant nos yeux, quand tout � coup, pr�s de
la rivi�re, � l'endroit o� se tenait le march� du b�tail, madame Elvire
jeta un cri d'horreur. La terre �tait inond�e du sang des victimes
pantelantes. A c�t� de cette boucherie en plein vent, des hommes aux
mains et aux bras rouges taillaient des morceaux de cuir dans les peaux
encore ti�des; d'autres se les attachaient aux pieds avec des lisi�res
d'alfa. C'est la chaussure des Kabyles; les plus riches seuls portent
des souliers qu'excellent � confectionner les cordonniers d'Alger. Les
femmes, par un �trange usage, ne se chaussent que dans la maison, quand
elles se chaussent. Elles courent pourtant comme des ch�vres dans les
sentiers h�riss�s de pierres aigu�s, et presque toujours en ployant sous
des fardeaux trop lourds. Comment font-elles pour ne pas d�chirer leurs
pieds mignons et charmants?

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Books | Photos | Paul Mutton | Sun 21st Dec 2025, 1:35