En Kabylie by J. Vilbort


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Page 11

Un brave chien kabyle, au poil h�riss�, aux crocs �normes, que les
fumets de la cuisine fran�aise avaient enti�rement ralli� � nous, fit,
avec nos reliefs, le plus beau festin qu'il dut faire de sa vie: il
mangea � lui seul autant que nous quatre ensemble.

Rien de tel qu'un bon repas pour relever le courage. Apr�s d�jeuner,
nous eussions, sur un signe du G�n�ral, escalad� le Djurjura, qui, �
vingt lieues, se dressait superbe par-dessus les montagnes des
Flisset-oum-el-lil, comme un grand sphinx de pierre � croupe d'argent.

Tous les quatre, marchant de front, nous all�mes visiter le march�.

D�s les premiers pas, tandis que les Kabyles nous accueillent avec des
visages souriants, et que plusieurs nous disent bonjour en fort bon
fran�ais, nous voyons ramper vers nous, � quatre pattes, un �tre hideux,
d�charn�, presque nu, qui �tale sous nos yeux, avec une sorte
d'ostentation, ses guenilles sordides et sa peau coll�e � ses os. Il se
met � nous regarder fixement, en marmottant d'une voix aigre des versets
du Koran. Nous lui jetons quelque monnaie qu'il saisit avec une
prestesse singuli�re; puis, nous tournant brusquement le dos, il s'en va
comme il est venu. C'est le mendiant arabe que nous avions aper�u de
loin, en arrivant aux Issers.

--Qu'est-ce que cet homme? demanda curieusement madame Elvire, et que
nous disait-il?

Un Roumi s'approcha:

--Madame, il disait: �Dieu n'accordera sa mis�ricorde qu'aux
mis�ricordieux: faites donc l'aum�ne, ne f�t-ce que de la moiti� d'une
datte. Qui fait l'aum�ne aujourd'hui sera rassasi� demain.� Et il vous
demandait l'aum�ne au nom de Sidi-Abdel-Kader-el-Djelali, qu'invoquent
tous les mendiants.

--Vraiment, je regrette de n'avoir pas mieux fait la charit� � ce
malheureux.

--Ce malheureux, Madame, est un coquin qui parcourt les march�s en
excitant contre nous les Kabyles. C'est un derviche qui a fait voeu de
pauvret�; mais je gagerais qu'il a enfoui dans la terre dix fois plus de
pi�ces de cent sous que je n'en aurai jamais dans mon coffre. Et cet
argent est perdu pour tout le monde, car il ne reverra pas la lumi�re.
Le plus grand bonheur que ce mis�rable p�t �prouver, ce serait de vous
couper la t�te, � vous, Madame, � ces messieurs et � moi, avec le
couteau de Bou�ada qu'il cache sous ses loques. Heureusement les gens
d'ici ont plus de bon sens que les Arabes; mais, s'ils sont bien moins
fanatiques, ils ne sont pourtant, eux aussi, que de grands enfants
cr�dules et superstitieux: ils croient aux mauvais esprits, aux
_djenouns_, aux sorciers. Cet homme � museau de chacal leur inspire une
sainte peur: ils redoutent ses mal�fices. Lui et ses confr�res en
jongleries, derviches et marabouts, sont la peste de l'Alg�rie.

--Oui, ajouta sentencieusement le Philosophe, le surnaturel, quelle que
soit sa forme ou sa grimace, a �t� et sera toujours la plus grande
calamit� que les hommes puissent s'infliger � eux-m�mes.

Madame Elvire remercia par un gracieux sourire le Roumi, qui s'en alla
d�battre bruyamment avec plusieurs Kabyles un march� de c�r�ales.

De tous c�t�s, c'�taient des �clats de voix accompagn�s d'une mimique si
expressive, qu'on e�t dit des gens qui se querellent. Autant l'Arabe est
calme, impassible, silencieux, autant le Kabyle parle, s'agite et
gesticule: celui-ci tout en dehors, celui-l� tout en dedans; entre eux
le seul trait d'union est une �gale finesse.

Quelques Arabes, gravement assis devant des sacs de froment ou d'orge,
se laissent ais�ment reconna�tre. On les e�t pris pour des statues, si
le clignotement des paupi�res ne vous e�t averti de temps � autre que
sous ces masques de bronze il y avait des �tres anim�s. Ils nous
regardaient passer d'un air indiff�rent, ne r�pondant m�me pas au salut
que leur adressait madame Elvire pour se bien convaincre que ce n'�tait
pas du m�tal. Ces bons Kabyles, au contraire, nous faisaient f�te,
criant: _Bono! bono!_ ou nous r�pondant quand nous leur adressions la
parole:

--_Makache sabir,_ nous ne vous comprenons pas.

Beaucoup de jeunes hommes contemplaient madame Elvire en �carquillant
les yeux, et lui montraient trente-deux dents du plus bel ivoire.
Plusieurs, s'inclinant devant elle, bais�rent le pan de son manteau.

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Books | Photos | Paul Mutton | Fri 19th Dec 2025, 20:25