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Page 10
Le caravans�rail des Issers nous apparut sur un monticule. Les angles de
ses murs blancs se dessinaient en lignes nettes sur l'azur. On voyait
pr�s de la porte un mendiant arabe accroupi, et un peu plus loin un
officier fran�ais � cheval qu'escortaient deux spahis au manteau rouge.
On distinguait des pigeons sur le toit.
--Regardez ce nuage bleu, dit joyeusement madame Elvire: c'est notre
d�jeuner qui fume.
--H�las! exclama M. Jules, nous en sommes encore � huit kilom�tres!
Il disait vrai: du haut des terrasses d'Alger, par les temps clairs, on
voit � douze lieues flamber ou fumer les feux allum�s sur l'Atlas; et
telle est la transparence de l'air, que de la pointe Pescade on aper�oit
la pointe Dellys qui en est � quarante.
Cependant � peine e�mes-nous d�pass� un coude de la route que la r�volte
de nos estomacs s'apaisa devant le tableau pittoresque qui r�gala nos
yeux. Au pied du mamelon des Issers, dans une plaine baign�e de lumi�re,
des milliers de Kabyles �taient rassembl�s pour le _Souk-el-Djem�a,_ le
march� du vendredi. A c�t� des hommes, debout ou accroupis, isol�s ou
r�unis par groupes, il y avait des chevaux, des boeufs, des vaches, des
ch�vres, des moutons et une quantit� consid�rable de mulets qui avaient
apport� tous les produits de l'industrie indig�ne dans leurs _tellis,_
sacs � double poche en laine, en poils de ch�vre ou de chameau, qui
recouvrent le b�t. Dans cette masse de visages cuivr�s et de burnous
d'un blanc sale, � leurs larges chapeaux de feutre, � leurs v�tements
sombres et � leurs ceintures de flanelle rouge, on distinguait quelques
Roumis. C'est le nom que les Kabyles donnent aux Europ�ens de toute
provenance; mais dans leur bouche, ce n'est pas comme dans celle des
Arabes une expression m�prisante. L'intol�rance religieuse de ceux-ci
n'a point p�n�tr� chez ceux-l� avec le Koran. Pour l'Arabe, le Koran est
� la fois toute la religion, toute la morale, toute la politique: il est
la loi divine et humaine.
En Kabylie, au contraire, en dehors du code musulman appuy� sur le dogme
de la fatalit�, il existe une constitution politique et civile,
susceptible de perfectionnement comme en France, et que le prestige de
Mahomet n'a jamais pu dominer. Dans leurs prises d'armes, l'orgueil
national, le fanatisme de l'ind�pendance bien plus que le fanatisme
religieux, soulevaient contre nous ces montagnards aux �paules vierges.
Ne parlez pas � l'Arabe nomade d'ind�pendance et de patrie; pour lui ces
mots n'ont aucun sens. Pendant trois cents ans, il a, victime r�sign�e,
tendu son cou au yatagan du Turc.
Dans toutes ses r�voltes contre la domination fran�aise, ce n'est pas
l'�tranger qu'il combat, mais le chr�tien que ses marabouts et ses
derviches lui enseignent � ha�r et � �gorger. Cette diff�rence
essentielle entre les deux races conquises, si importante par ses
cons�quences, est aussi, comme l'hostilit� inn�e et r�ciproque des
Kabyles et des Arabes, un des traits de moeurs qui devaient le plus
vivement nous frapper. Aux yeux des Kabyles, les Roumis sont les
descendants des Romains, qui ainsi que nous pass�rent la mer pour
aborder � la c�te africaine. Et si beaucoup d'entre eux nous d�testent
encore, c'est parce que nous sommes des envahisseurs, et non pas parce
que nous sommes des chr�tiens.
La sc�ne du march�, plus anim�e et plus vari�e, � mesure que nous en
approchions, nous fit trouver trop court le trajet jusqu'aux Issers. Au
lieu d'un seul tableau, cette plaine qui n'�tait que bruit, mouvement et
soleil, nous en offrait � pr�sent mille. Tous �galement sollicitaient
nos regards. Et tel fut l'enthousiasme qu'ils excitaient chez le
G�n�ral, qu'en descendant de voiture il voulut nous entra�ner au milieu
du Souk [March�.]. Nous ne r�pond�mes � un si bel �lan que par ce cri
fam�lique:
--D�jeunons!
Seul, M. Jules fit trois pas derri�re madame Elvire pour la d�fendre au
besoin, en v�ritable chevalier fran�ais, contre deux ou trois mille
ennemis. On nous avait si fort mont� la t�te � l'endroit des Kabyles,
que nous les consid�rions tous alors comme brigands et coupe-jarret.
C'�tait par fanfaronnade et pour imiter le G�n�ral, que nous n'avions
d'autres armes que nos cravaches et le revolver � six coups enfoui par
M. Jules dans le fond de sa malle.
En voyant notre couardise, madame Elvire jeta sur son mari et sur moi un
regard plein d'une ironie charmante, et revint sur ses pas. Nous la
suiv�mes dans une grande salle cr�pie � la chaux, o�, sur une nappe plus
ou moins blanche, on nous servit un copieux d�jeuner d'oeufs, de
volaille, de poisson et de gibier. M. Jules �tait radieux: � sa joie de
l'avoir emport� sur nous dans l'esprit du G�n�ral, se m�lait visiblement
le plaisir de d�vorer des yeux tant de mets succulents �tal�s sur la
table. Nous ne mange�mes pas comme de simples mortels, mais comme le
divin Gargantua.
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