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Page 5
Avec ce go�t pour le bruit et le clinquant, il e�t �t� bien difficile
qu'elle ne f�t pas fortement engou�e du militaire en g�n�ral. Un temps
n'�tait pas bien loin o� elle avait �t� fi�re de valser avec les beaux
officiers de l'empire; elle avait eu du regret lorsque son mari lui
avait prescrit de bouder l'empire. Elle �tait donc ivre de joie en
voyant surgir une arm�e nouvelle avec des plumets, des titres, des
galons et des noms nouveaux; toute cette ivresse �tait � la surface, le
coeur et les sens n'y jouaient qu'un r�le secondaire. La marquise �tait
sage, c'est-�-dire qu'elle n'avait jamais eu d'amant; elle �tait comme
habitu�e � se sentir �prise de tous les hommes capables de plaire, mais
sans en aimer assez un seul pour s'engager � n'aimer que lui. Elle e�t
pu �tre une femme galante, car ses sens parlaient quelquefois malgr�
elle; mais elle n'e�t pas eu le courage de ses passions, et un grand
fonds d'�go�sme l'avait pr�serv�e de tout ce qui peut engager et
compromettre.
Elle re�ut donc Mourzakine avec autant de satisfaction que
d'impr�voyance.
--Je l'aimerai, je l'aime, se disait-elle d�s le premier jour; mais
c'est un oiseau de passage, et il ne faudra pas l'aimer trop.
Ne pas aimer trop lui avait toujours �t� plus ou moins facile; elle ne
s'�tait jamais trouv�e aux prises avec une volont� bien persistante en
fait d'amour. Le Fran�ais de ce temps-l� n'avait point pass� par le
romantisme; il se ressentait plus qu'on ne pense des moeurs l�g�res du
Directoire, lesquelles n'�taient elles-m�mes qu'un retour aux moeurs
de la r�gence. La vie d'aventures et de conqu�tes avait ajout� � cette
disposition au sensualisme quelque chose de brutal et de press� qui ne
rendait pas l'homme bien dangereux pour la femme prudente. Dans les
temps de grandes pr�occupations guerri�res et sociales, il n'y a pas
beaucoup de place pour les passions profondes, non plus que pour les
tendresses prolong�es.
Rien ne ressemblait moins � un Fran�ais qu'un Russe de cette �poque.
C'est � cause de leur facilit� � parler notre langue, � se plier � nos
usages, qu'on les appela chez nous les Fran�ais du Nord; mais jamais
l'identification ne fut plus lointaine et plus impossible. Ils ne
pouvaient prendre de nous que ce qui nous faisait le moins d'honneur
alors, l'amabilit�.
Mourzakine n'�tait pourtant pas un vrai Russe. G�orgien d'origine,
peut-�tre Kurde ou Persan en remontant plus haut, Moscovite d'�ducation,
il n'avait jamais vu P�tersbourg et ne se trouvait que par les hasards
de la guerre et la protection de son oncle Ogoksko� plac� sous les yeux
du tsar. Sans la guerre, priv� de fortune comme il l'�tait, il e�t
v�g�t� dans d'obscurs et p�nibles emplois militaires aux fronti�res
asiatiques, � moins que, comme il en avait �t� tent� quelquefois dans
son adolescence, il n'e�t franchi cette fronti�re pour se jeter dans la
vie d'h�ro�ques aventures de ses a�eux ind�pendants; mais il s'�tait
distingu� � la bataille de la Moskowa, et plus tard il s'�tait battu
comme un lion sous les yeux du ma�tre. D�s lors il lui appartenait corps
et �me. Il �tait bien et d�ment baptis� Russe par le sang fran�ais qu'il
avait vers�; il �tait riv� � jamais, lui et sa post�rit�, au joug de ce
qu'on appelle en Russie la civilisation, c'est-�-dire le culte aveugle
de la puissance absolue. Il faut monter plus haut que ne le pouvait
faire Mourzakine pour disposer de cette puissance par le fer ou le
poison.
Sa volont� � lui, ne pouvait s'exercer que sur sa propre destin�e;
mais qu'elles sont tenaces et patientes, ces �nergies qui consistent �
�craser les plus faibles pour se rattacher aux plus forts! C'est toute
la science de la vie chez les Russes; science incompatible avec notre
caract�re et nos habitudes. Nous savons bien aussi plier d�plorablement
sous les ma�tres; mais nous nous lassons d'eux avec une merveilleuse
facilit�, et, quand la mesure est comble, nous sacrifions nos int�r�ts
personnels au besoin de reprendre possession de nous-m�mes[2].
[Note 2: Ivan Tourguenef, qui conna�t bien la France, a cr�� en
ma�tre le personnage du Russe intelligent, qui ne peut rien �tre en
Russie parce qu'il a la nature du Fran�ais. Relisez les derni�res pages
de l'admirable roman: _Dimitri Roudine_.]
Beau comme il l'�tait, Diom�de Mourzakine avait eu partout de faciles
succ�s aupr�s des femmes de toute classe et de tous pays. Trop prudent
pour produire sa fatuit� au grand jour, il la nourrissait en lui
secr�te, �norme. D�s le premier coup d'oeil, il couva sensuellement des
yeux la belle marquise comme une proie qui lui �tait d�volue. Il comprit
en une heure qu'elle n'aimait pas son mari, qu'elle n'�tait pas d�vote,
la d�votion de commande n'�tait pas encore � l'ordre du jour;
qu'elle �tait tr�s-vivante, nullement prude, et qu'il lui plaisait
irr�sistiblement. Il ne fit donc pas grands frais le premier jour,
s'imaginant qu'il lui suffisait de se montrer pour �tre heureux � bref
d�lai.
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