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Page 46
Au bout d'un instant, reprenant courage, elle put marcher. Ils �taient �
deux pas de l'estaminet de la _Jambe de bois_; c'est ainsi que les gens
du quartier d�signaient famili�rement l'�tablissement du sergent Moynet.
Il �tait encore ouvert. L'invalide jeta un grand cri de joie en revoyant
sa fille adoptive; mais, comme elle �tait p�le et d�faillante, il la fit
entrer dans une sorte d'office o� il n'y avait personne et o� il se
h�ta de l'interroger. Elle ne pouvait pas encore parler; il questionna
Antoine qui baissa la t�te et refusa de r�pondre.
--Elle vous dira ce qu'elle voudra, dit-il; moi, je n'ai qu'� me taire!
Et comme il pensait bien qu'elle ne voudrait pas s'expliquer devant lui,
l'honn�te gar�on eut la patience et la d�licatesse de renoncer � savoir
la v�rit�. Il se retira en disant � Francia:
--Je m'en vais aider le gar�on � fermer l'�tablissement. Si vous avez
quelque chose � me commander, je suis l�.
Francia, touch�e profond�ment, lui tendit une main qu'il serra dans les
siennes avec une �motion bien vive dont sa figure �paisse et tann�e ne
trahit pourtant rien.
--Voyons, parleras-tu? dit en jurant Moynet � Francia, d�s qu'ils furent
seuls. Il y a quelque chose de louche dans tout �a! Je n'ai rien dit;
mais je n'ai pas cru un mot de cette histoire du retour de ta m�re,
d'autant plus que j'ai su des choses qui ne m'ont pas plu. Pendant que
je courais l'autre soir pour faire rel�cher ton vaurien de fr�re, tu
sortais malgr� ma d�fense; tu n'es rentr�e qu'au jour, et ce m�me
jour-l� tu disparais sans me dire adieu! Il faut avouer la v�rit�,
entends-tu? Si tu essayes encore de me tromper, je te m�prise et je
t'abandonne!
Francia se jeta � ses genoux en sanglotant. La derni�re crise de cette
cruelle soir�e avait dissip� subitement sa migraine; son coeur �tait
plein d'une indignation �nergique contre ces Russes qui avaient tent� de
l'avilir. Elle raconta avec une grande nettet� et une sinc�rit� absolue
l'histoire de ses relations avec Mourzakine. Ce fut avec une �nergie
�gale, mais accentu�e de nombreux jurons, que le sergent, tout en
m�nageant les reproches � la pauvre fille, fl�trit la conduite des deux
�trangers. Il ne voulut pas admettre de circonstances att�nuantes en
faveur du prince, et quand Francia essaya de se persuader � elle-m�me
que sa conduite avait pu �tre moins coupable que le comte ne la lui
avait pr�sent�e, Moynet s'emporta contre elle et se d�fendit de toute
piti� pour le chagrin qui l'accablait.
--Tu es une sans coeur et une l�che, lui dit-il, tu as trahi ton pays et
le souvenir de ta m�re! Tu t'es donn�e � l'homme qui l'a tu�e! Il l'a
dit � son autre ma�tresse, �a doit �tre vrai, et � l'heure o� nous
sommes ils en rient ensemble, car elle est aussi canaille que lui et que
toi! Elle trouve �a dr�le! Ah! les femmes! comme c'est vil, et comme
j'ai bien fait de rester gar�on! Tiens, finis de pleurer, fille
entretenue par l'ennemi, ou je te mets sur le trottoir avec les
autres!... Les autres? Non, j'ai tort, j'oubliais,... les filles
publiques valent mieux que toi! Le jour de l'entr�e des ennemis dans
Paris, il n'y en a pas une qui se soit montr�e sur le pav�... Ah! j'en
rougis pour toi! pour moi aussi, qui t'ai ramen�e de l�-bas, et qui
aurais mieux fait de te flanquer une balle dans la t�te! Voil� un beau
d�bris de la grande arm�e, voil� un bel �chantillon de la d�route! Et
comme ces ennemis doivent avoir une belle id�e de nous!
Francia l'�coutait, le coude sur son genou, la joue dans sa main,
la poitrine rentr�e, les yeux fixes. Elle ne pleurait plus. Elle
envisageait sa faute et commen�ait � y voir un crime. Ses affreuses
visions de la nuit pr�c�dente lui revenaient. Elle contemplait, tout
�veill�e, la t�te mutil�e de sa m�re et le cheval de Mourzakine galopant
avec ce sanglant troph�e.
--Papa Moynet, dit-elle � l'invalide, je vous en prie, ne dites plus
rien; vous me rendrez folle!
--Si! Je veux dire, et je dirai encore, reprit Moynet, � qui elle avait
oubli� de faire savoir combien elle �tait malade depuis vingt-quatre
heures: je ne t'ai jamais assez dit, je ne t'ai jamais dit ce que je
devais te dire! J'ai �t� trop doux, trop b�te avec toi. Tu m'as toujours
dup�, et ce qui arrive, c'est ma faute. Nom de nom! C'est aussi la
faute de la mis�re. Si j'avais eu de quoi te placer, et le temps de te
surveiller, et un endroit, des personnes pour te garder! Mais avec une
seule jambe, pas un sou d'avance, pas d'industrie, pas de famille, rien,
quoi! je n'�tais bon qu'� faire un �tat de cantini�re; gr�ce � un ami,
j'ai pu louer cette sacr�e boutique, qui me tient coll� comme une image
� un mur, et o� je n'ai pas encore pu joindre les deux bouts. Pondant
ce temps-l�, _mam'zelle_, que je croyais si sage et qui logeait l�-haut
dans sa mansarde, ne se contentait pas de travailler. Il lui fallait des
chiffons et des amusements. On se laissait mener au spectacle et �
la promenade avec les autres petites ouvri�res, par les gar�ons du
quartier, qui faisaient des dettes � leurs parents pour trimballer cette
volaille. Je t'avais dit plus d'une fois: N'y va pas; il t'arrivera
malheur! Tu me promettais tout ce que je voulais: tu es douce, et on te
croirait raisonnable; mais tu n'as pas de �a (Moynet frappait sur sa
poitrine)! Tu n'as ni coeur, ni �me! Une chiffe, quoi! Un oiseau qui ne
veut pas de nid, et qui va comme le vent le pousse. Tu as �cout� des pas
grand'chose, tu as m�pris� tes pareils, tu aurais pu �pouser Antoine,
tu le pourrais peut-�tre encore! Mais non, tu te crois d'une plus belle
esp�ce que �a. On a eu une m�re qui pirouettait sur les planches, devant
les Cosaques, et on dit: Je suis artiste. On se donne � un perruquier
parce qu'il est artiste, lui aussi! Tiens, tout ce qui sort du th��tre
et tout ce qui y rentre, c'est des vagabonds et des ambitieux! On
s'habille en princes et en princesses, et on r�ve d'�tre des rois et des
empereurs. J'ai vu �a � Moscou, moi; il y avait des comparses de th��tre
qui buvaient bien la goutte avec nous, mais qui n'auraient jamais pris
un fusil pour se battre. Tu as �t� �lev�e dans ce monde-l�, et tu t'en
ressens: tu seras toujours celle qui ne fait rien d'utile et qui compte
sur les autres pour l'entretenir.
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