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Page 39
Elle fondit en larmes. Le prince, voyant l'�nergie de cette affection
dans un �tre si faible, en fut touch�.
--Tiens, lui dit-il en reprenant le poignard persan qu'elle avait jet�
sur la table, je te donne ce bijou; c'est un bijou, tu vois! c'est orn�
de pierres fines, et c'est assez petit pour �tre cach� dans le mouchoir
ou dans le gant. Ce n'est pas plus embarrassant qu'un �ventail; mais
c'est un joujou qui tue, et en te l'offrant tout � l'heure je savais
tr�s-bien qu'il pouvait me donner la mort. Garde-le, et perce-moi le
coeur, si tu me crois infid�le!
Il disait ce qu'il pensait en ce moment-l�. Il n'aimait pas la marquise;
il lui en voulait m�me. Il �tait content de ne pas se soucier de sa
personne, qu'elle lui avait trop longtemps refus�e, selon lui.
Francia, rassur�e, examina le poignard, le trouva joli, et s'amusa de
la possession d'un bijou si singulier; elle le lui rendit pourtant, ne
sachant qu'en faire et fr�missant � l'id�e de s'en servir contre lui.
Elle �tait pr�te � sortir. Mourzakine l'entra�na, lui fit oublier sa
blessure en la caressant et la g�tant comme un enfant malade. Ils
all�rent d�ner aux Champs-�lys�es, et puis il lui demanda quel th��tre
elle pr�f�rait. Elle se sentait faible, elle avait � peine mang�, et
par moments elle avait des frissons. Il lui proposa de rentrer. Elle le
voyait dispos� � s'amuser du bruit et du mouvement de Paris; il avait
copieusement d�n�, lui, bu d'autant. Elle craignit de le priver en
acceptant de prendre du repos, et c�da au d�sir qu'il paraissait avoir
d'aller � Feydeau entendre les chanteurs en vogue. L'Op�ra-Comique �tait
alors fort suivi et g�n�ralement pr�f�r� au grand Op�ra. C'�tait un
th��tre de bon ton, et Mourzakine n'�tait pas f�ch�, tout en �coutant
la musique, de pouvoir lorgner les jolies femmes de Paris. Il envoya en
avant Valentin pour louer une loge de rez-de-chauss�e, et, quand ils
arriv�rent, le d�vou� personnage les attendait sous le p�ristyle avec
le coupon. Francia baissa son voile, prit le bras de Valentin et alla
s'installer dans la loge, ou peu d'instants apr�s le prince vint la
rejoindre.
Quand elle se vit t�te � t�te avec lui dans cette niche sombre, o�, en
se tenant un peu au second plan, elle n'�tait vue de personne, elle se
rassura. En jetant les yeux sur ce public o� pas une figure ne lui �tait
connue, elle sourit de la peur qu'elle avait eue d'y �tre d�couverte, et
elle oublia tout encore une fois, pour ne sentir que la joie d'�tre dans
un th��tre, dans la foule, par�e et ravie, dans le souffle chaud et
vivifiant de Paris artiste, seule et invisible avec son amant heureux.
C'�tait la s�curit�, l'impunit� dans la joie, car Francia, �lev�e dans
les coulisses du spectacle ambulant, aimait le th��tre avec passion.
C'est en l'y menant quelquefois que Guzman l'avait enivr�e. Elle aimait
surtout la danse, bien que sa m�re, en lui donnant les premi�res le�ons,
l'e�t souvent tortur�e, bris�e, battue. Dans ce temps-l�, certes elle
d�testait l'art chor�graphique; mais depuis qu'elle n'en �tait plus la
victime r�sign�e, cet art redevenait charmant dans ses souvenirs. Il
se liait � ceux que sa m�re lui avait laiss�s. Elle �tait fi�re de s'y
conna�tre un peu et de pouvoir appr�cier certains pas que Mimi La Source
lui avait enseign�s. On jouait, je crois, _Aline, reine de Golconde_. Si
ma m�moire me trompe, il importe peu. Il y avait un ballet. Francia le
d�vora des yeux, et, bien que les danseuses de Feydeau fussent de second
ordre, elle fut enivr�e jusqu'� oublier qu'elle avait la fi�vre. Elle
oublia aussi qu'elle ne voulait pas �tre vue avec un �tranger; elle se
pencha en avant, tenant na�vement le bras de Mourzakine et l'entra�nant
� se pencher aussi pour partager un plaisir dont elle ne voulait pas
jouir sans lui.
Tout � coup elle vit imm�diatement au-dessous d'elle une t�te cr�pue,
dont le ton rouge�tre la fit tressaillir. Elle se retira, puis se
hasarda � regarder de nouveau. Elle dut prendre note d'une grosse main
poilue qui frottait par moments une nuque bovine, rouge et baign�e de
sueur. Enfin elle distingua le profil qui se tournait vers elle, mais
sans que les yeux ronds et h�b�t�s parussent la voir. Plus de doute,
c'�tait Antoine le ferblantier, le neveu du p�re Moynet, l'amoureux que
Th�odore lui avait conseill� d'�pouser.
Elle fut prise de peur. �tait-ce bien lui? Que venait-il faire au
th��tre, lui qui n'y comprenait rien, et qui �tait trop rang� pour se
permettre un pareil luxe? L'acte finissait. Quand elle se hasarda �
regarder encore, il n'�tait plus l�. Elle esp�ra qu'il ne reviendrait
pas, ou qu'elle avait �t� tromp�e par une ressemblance. Antoine avait
une de ces t�tes pour ainsi dire classiques par leur banalit�, qu'on ne
rencontre plus gu�re aujourd'hui dans les gens de sa classe. Les types
tendent � se particulariser sous l'action d'aptitudes plus personnelles.
A cette �poque, un ouvrier de Paris n'�tait souvent qu'un paysan � peine
d�grossi, et si quelque chose caract�risait Antoine, c'est qu'il n'�tait
pas d�grossi du tout.
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