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Page 33
C'est tout ce que d�sirait ce prince sauvage, doubl� d'un courtisan
rus�. Madame de Thi�vre �tait d�j� pr�venue; elle savait ce qu'il avait
plu � Mourzakine de lui confier. Francia, selon lui, �tait une pauvre
fille assez laide dont il avait piti� et � laquelle il devait un appui,
puisque, dans une charge de cavalerie, il avait �eu le malheur d'�craser
sa m�re.� Il l'avait log�e dans sa maison en attendant qu'il p�t lui
procurer quelque ouvrage un peu lucratif. Il avait arrang� et d�bit�
ce roman avec tant de facilit�, il avait tant de charme et d'aisance �
mentir, que madame de Thi�vre, touch�e de sa sinc�rit� et flatt�e de sa
confiance, avait promis de s'int�resser � sa prot�g�e; et puis, elle
comprit que ce hasard amenait une combinaison favorable � la passion de
Mourzakine pour elle en d�tournant les soup�ons de l'oncle Ogoksko�.
Elle se pr�tait donc maintenant � cette l�chet� qui l'avait d'abord
indign�e: elle �tait secr�tement vaincue. Elle ne voulait pas se
l'avouer; mais elle se laissait aller, avec une alternative d'agitation
et de langueur, � tout ce qui pouvait assurer sa d�faite sans
compromettre le prince.
Quant � lui, ce n'�tait plus en un jour qu'il esp�rait d�sormais
triompher d'elle. Il craignait un retour de d�pit et de fiert�, s'il
brusquait les choses. Il se donnait une semaine pour la convaincre, il
pouvait prendre patience: Francia lui plaisait r�ellement.
Le soir, en soupant avec elle dans sa petite chambre, il se mit �
l'aimer tout � fait. Il �tait capable d'aimer tout comme un autre, de
cet amour parfaitement �go�ste qui se prodigue dans l'ivresse sauf
� s'�teindre dans les difficult�s ult�rieures. Il est vrai que dans
l'ivresse il �tait charmant, tendre et ardent � la fois. La pauvre
Francia, apr�s lui avoir na�vement avou� l'effroi et le chagrin de son
isolement, se mit � l'aimer de toute son �me et � lui demander pardon
d'avoir regrett� quelque chose, quand elle n'e�t d� que ressentir la
joie de lui appartenir.
--Tenez, lui disait-elle, je n'ai jamais su jusqu'� ce jour ce que c'est
qu'aimer. Regardez-moi, je n'invente pas cela pour vous faire plaisir!
En effet, ses yeux clairs et profonds, son sourire confiant et pur comme
celui de l'enfance, attestaient une sinc�rit� compl�te. Mourzakine �tait
trop p�n�trant, trop m�fiant, pour s'y tromper. Il se sentait aim� pour
lui-m�me dans toute l'acceptation de ce terme banal qui avait �t� son
r�ve, et qui devenait une rare certitude. Il se surprenait par moments
� ressentir, lui aussi, quelque chose de plus doux que le plaisir. Il
poss�dait une �me, et il �tudiait avec surprise cette esp�ce de _petite
�me fran�aise_ qui lui parlait une langue nouvelle, langue incompl�te et
vague qui ne se servait pas des mots tout faits � l'image des femmes du
monde, et qui �tait trop inspir�e pour �tre �l�gante ou correcte.
Elle dormit deux heures, la t�te sur son �paule, mais, avec le jour,
elle s'�veilla chantant comme les oiseaux. Elle n'�tait pas habitu�e �
ne pas voir lever le soleil. Elle avait besoin de marcher, de sortir, de
respirer. Ils mont�rent en voiture, et elle le conduisit � Romainville,
qui �tait alors le rendez-vous des amants heureux. Le bois �tait encore
d�sert. Elle ramassa des violettes et en remplit le dolman bomb� sur
la poitrine du prince tartare, puis elle les reprit pour les mettre
classiquement sur son coeur. Ils d�jeun�rent d'oeufs frais et de
laitage. Elle �tait en m�me temps fol�tre et attendrie; elle avait la
ga�t� gracieuse et discr�te, rien de vulgaire. Ils causaient beaucoup.
Les Russes sont bavards, les Parisiennes sont babillardes. Il �tait
�tonn� de pouvoir causer avec elle, qui ne savait rien, mais qui savait
tout, comme savent les gens de toute condition � Paris, par le perp�tuel
ou�-dire de la vie d'expansion et de contact. Quel contraste avec les
peuples qui, n'ayant pas le droit de parler, perdent le besoin de
penser! Paris est le temple de v�rit� o� l'on pense tout haut et o� l'on
s'apprend les uns aux autres ce que l'on doit penser de tout. Mourzakine
�tait �merveill� et se demandait presque s'il n'avait pas mis la main
sur une nature d'exception. Il �tait tent� de le croire, surtout en
voyant la bont� de coeur qui caract�risait Francia. Sur quelque sujet
qu'il la m�t, elle �tait toujours et tout naturellement dans le ton de
l'indulgence, du d�sint�ressement, de la piti� compatissante. Cette
nuance particuli�re, elle la devait � ce qu'elle avait souffert et vu
souffrir dans une autre phase de sa vie.
--Eh quoi! lui disait-il dans la voiture en revenant, pas un mauvais
sentiment, pas d'envie pour les riches, pas de m�pris pour les
coupables? Tu es toute douceur et toute simplicit�, ma pauvre enfant, et
si les autres Fran�aises te ressemblent, vous �tes les meilleurs �tres
qu'il y ait au monde.
Il avait peu de service � faire et il pr�tendit en avoir un tr�s-rude
pour se dispenser de para�tre � l'h�tel de Thi�vre. Il lui semblait
qu'il ne se plaisait plus avec personne autre que Francia, qu'il ne se
soucierait plus d'aucune femme. Il l'aima exclusivement pendant trois
jours. Pendant trois jours, elle fut si heureuse qu'elle oublia tout et
ne regretta rien. Il �tait tout pour elle; elle ne croyait pas qu'un
bonheur si grand ne d�t pas �tre �ternel. Tout � coup elle ne le vit
plus, et l'effroi s'empara d'elle. Un grand �v�nement �tait survenu.
Napol�on, malgr� l'acte d'abdication, venait de faire un mouvement de
Fontainebleau sur Paris. Il avait encore des forces disponibles, les
alli�s ne s'�taient pas m�fi�s. Enivr�s de leur facile conqu�te, ils
oubliaient dans les plaisirs de Paris que les hauteurs qui lui servaient
alors de d�fense naturelle n'�taient pas gard�es. L'annonce de
l'approche de l'empereur les jeta dans une vive agitation. Des ordres
furent donn�s � la h�te, on courut aux armes. Paris trembla d'�tre pris
entre deux feux. Mourzakine monta � cheval, et ne rentra ni le soir ni
le lendemain.
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