Francia; Un bienfait n'est jamais perdu by George Sand


Main
- books.jibble.org



My Books
- IRC Hacks

Misc. Articles
- Meaning of Jibble
- M4 Su Doku
- Computer Scrapbooking
- Setting up Java
- Bootable Java
- Cookies in Java
- Dynamic Graphs
- Social Shakespeare

External Links
- Paul Mutton
- Jibble Photo Gallery
- Jibble Forums
- Google Landmarks
- Jibble Shop
- Free Books
- Intershot Ltd

books.jibble.org

Previous Page | Next Page

Page 12

--Va-t'en, ou je te fais couper la langue par mon cosaque.

Le gamin, sans s'effrayer de la menace, porta la main � sa bouche en
tirant la langue comme si la douleur lui arrachait cette grimace, puis,
sans tourner les talons, avisant devant lui le mur peu �lev� du jardin,
il grimpa au treillage avec l'agilit� d'un singe, enjamba le mur, fit un
pied de nez tr�s-accentu� au prince russe, et disparut sans se demander
s'il sautait dans la rue ou dans un autre enclos dont il sortirait par
escalade.

Mourzakine demeura confondu de tant d'audace. En Russie, il e�t �t� de
son devoir de faire poursuivre, arr�ter et fustiger atrocement un homme
du peuple capable d'un pareil attentat envers lui. Il se demanda m�me un
instant s'il n'appellerait pas Mozdar pour franchir ce mur et s'emparer
du coupable; mais, outre que le d�linquant avait de l'avance sur le
cosaque, le souvenir de Francia dissipa la col�re de Mourzakine, et il
s'arr�ta sous un gros tilleul o� un banc l'invitait � la r�verie.

�--Oui, je me la remets bien � pr�sent, se disait-il, et son esprit
faisant un voyage r�trospectif, il se racontait ainsi l'�v�nement.
�C'�tait � Pletchenitzy, dans les premiers jours de d�cembre 1812.
Platow commandait la poursuite. La veille nous avions donn� la chasse
aux Fran�ais, qui avaient r�ussi � se d�gager apr�s avoir d�livr�
Oudinot, que mes cosaques tenaient assi�g� dans une grange. Nous avions
besoin de repos; la B�r�zina nous avait mis sur les dents. J'avais
trouv� un coin, une esp�ce de lit, pour dormir sans me d�shabiller. Puis
arriv�rent nos convois charg�s du butin, des bless�s et des prisonniers.
J'avisai une enfant qui me parut avoir douze ans au plus, et qui �tait
si jolie dans sa p�leur avec ses longs cheveux noirs �pars! Elle �tait
dans une esp�ce de kibitka p�le-m�le avec des mourants et des ballots.
Je dis � Mozdar de la tirer de l� et de la mettre dans l'esp�ce de
taudis qui me servait de chambre. Il la posa par terre, �vanouie, en me
disant:

�--Elle est morte.

�Mais elle ouvrit les yeux et me regarda avec �tonnement. Le sang de
sa blessure �tait gel� sur le haillon qui lui servait de mante. Je lui
parlai fran�ais; elle me crut Fran�ais et me demanda sa m�re, je m'en
souviens bien, mais je n'eus pas le loisir de l'interroger. J'avais des
ordres � donner. Je dis � Mozdar, en lui montrant le grabat o� j'avais
dormi:

�--_Mets-la mourir tranquillement._

�Et je lui jetai un mouchoir pour bander la blessure. Je dus sortir avec
mes hommes. Quand je rentrai, j'avais oubli� l'enfant. J'avais une heure
� moi avant de quitter la ville; j'en profitai pour �crire trois mots �
ma m�re: une occasion se pr�sentait. Quand j'eus fini, je me rappelai la
bless�e qui gisait � deux pas de moi. Je la regardai. Je rencontrai ses
grands yeux noirs attach�s sur moi, tellement fixes, tellement creus�s,
que leur �clat vitreux me parut �tre celui de la mort. J'allai � elle,
je mis ma main sur son front; il �tait r�chauff� et humide.

�--Tu n'es donc pas morte? lui dis-je: allons! t�che de gu�rir.

�Et je lui mis entre les dents une cro�te de pain qui �tait rest�e sur
la table. Elle me sourit faiblement, et d�vora le pain qu'elle roulait
avec sa bouche sur l'oreiller, car elle n'avait pas la force d'y porter
les mains. De quelle piti� je fus saisi! Je courus chercher d'autres
vivres, en disant � la femme de la maison:

�--Ayez soin de cette petite. Voil� de l'argent; sauvez-la.

� Alors l'enfant fit un grand effort. Comme je sortais, elle tira ses
bras maigres hors du lit et les tendit vers moi en disant:

�--Ma m�re!

�Quelle m�re? O� la trouver? Puisqu'elle n'�tait pas l�, c'est qu'elle
�tait morte. Je ne pus que hausser les �paules avec chagrin. La
trompette sonnait; il fallait partir, continuer la poursuite. Je
partis.--Et � pr�sent... peut-on esp�rer de la retrouver, cette m�re? Ce
n'�tait pas du tout une c�l�brit�, comme ses enfants se le persuadent;
elle �tait de ces pauvres artistes ambulants que Napol�on trouva dans
Moscou, qu'il fit, dit-on, repara�tre sur le th��tre apr�s l'incendie
pour distraire ses officiers de la mortelle tristesse de leur s�jour, et
qui le suivirent malgr� lui avec toute cette population de tra�nards
qui a g�n� sa marche et pr�cipit� ses revers. Des cinquante mille �mes
inutiles qui ont quitt� la Russie avec lui, il n'en est peut-�tre pas
rentr� cinq cents en France. Enfin je verrai l'enfant, elle m'int�resse
de plus en plus. Elle est bien jolie � pr�sent!

Previous Page | Next Page


Books | Photos | Paul Mutton | Fri 19th Dec 2025, 2:35