Leone Leoni by George Sand


Main
- books.jibble.org



My Books
- IRC Hacks

Misc. Articles
- Meaning of Jibble
- M4 Su Doku
- Computer Scrapbooking
- Setting up Java
- Bootable Java
- Cookies in Java
- Dynamic Graphs
- Social Shakespeare

External Links
- Paul Mutton
- Jibble Photo Gallery
- Jibble Forums
- Google Landmarks
- Jibble Shop
- Free Books
- Intershot Ltd

books.jibble.org

Previous Page | Next Page

Page 9

Nous rest�mes quelques instants sans parler, et Leoni, relevant la
conversation, trouva le moyen de dire � mon p�re tout ce qui pouvait
flatter son amour-propre d'artiste et de commer�ant. Il parut prendre
un extr�me plaisir � lui faire expliquer par quel travail on tirait les
pierres pr�cieuses d'un caillou brut, pour leur donner l'�clat et la
transparence. Il dit lui-m�me � ce sujet des choses int�ressantes; et,
s'adressant � moi, il me donna quelques d�tails min�ralogiques � ma
port�e. Je fus confondue de l'esprit et de la gr�ce avec lesquels il
savait relever et ennoblir notre condition � nos propres yeux. Il nous
parla de travaux d'orf�vrerie qu'il avait eu l'occasion de voir dans ses
voyages, et nous vanta surtout les oeuvres de son compatriote Cellini,
qu'il pla�a pr�s de Michel-Ange. Enfin, il attribua tant de m�rite � la
profession de mon p�re et donna tant d'�loges � son talent, que je me
demandais presque si j'�tais la fille d'un ouvrier laborieux ou d'un
homme de g�nie.

Mon p�re accepta cette derni�re hypoth�se, et, charm� des mani�res du
V�nitien, il le conduisit chez ma m�re. Durant cette visite, Leoni eut
tant d'esprit et parla sur toutes choses d'une mani�re si sup�rieure,
que je restai fascin�e en l'�coutant. Jamais je n'avais con�u l'id�e
d'un homme semblable. Ceux qu'on m'avait d�sign�s comme les plus
aimables �taient si insignifiants et si nuls aupr�s de celui-l�, que je
croyais faire un r�ve. J'�tais trop ignorante pour appr�cier tout ce
que Leoni poss�dait de savoir et d'�loquence, mais je le comprenais
instinctivement. J'�tais domin�e par son regard, encha�n�e � ses r�cits,
surprise et charm�e � chaque nouvelle ressource qu'il d�ployait.

Il est certain que Leoni est un homme dou� de facult�s extraordinaires.
En peu de jours il r�ussit � exciter dans la ville un engouement
g�n�ral. Vous savez qu'il a tous les talents, toutes les s�ductions.
S'il assistait � un concert, apr�s s'�tre fait un peu prier, il chantait
ou jouait tous les instruments avec une sup�riorit� marqu�e sur les
musiciens. S'il consentait � passer une soir�e d'intimit�, il faisait
des dessins charmants sur les albums des femmes. Il crayonnait en un
instant des portraits pleins de gr�ce ou des caricatures pleines de
verve; il improvisait ou d�clamait dans toutes les langues; il savait
toutes les danses de caract�re de l'Europe, et il les dansait toutes
avec une gr�ce enchanteresse; il avait tout vu, tout retenu, tout jug�,
tout compris; il savait tout; il lisait dans l'univers comme dans un
livre de poche. Il jouait admirablement la trag�die et la com�die;
il organisait des troupes d'amateurs; il �tait lui-m�me le chef
d'orchestre, le premier sujet, le d�corateur, le peintre et le
machiniste. Il �tait � la t�te de toutes les parties et de toutes les
f�tes. On pouvait vraiment dire que le plaisir marchait sur ses traces,
et que tout, � son approche, changeait d'aspect et prenait une face
nouvelle. On l'�coutait avec enthousiasme, on lui ob�issait aveugl�ment;
on croyait en lui comme en un proph�te; et s'il e�t promis de ramener le
printemps au milieu de l'hiver, on l'en aurait cru capable. Au bout
d'un mois de son s�jour � Bruxelles, le caract�re des habitants avait
r�ellement chang�. Le plaisir r�unissait toutes les classes, aplanissait
toutes les susceptibilit�s hautaines, nivelait tous les rangs. Ce
n'�taient tous les jours que cavalcades, feux d'artifice, spectacles,
concerts, mascarades. Leoni �tait grand et g�n�reux; les ouvriers
auraient fait pour lui une �meute. Il semait les bienfaits � pleines
mains, et trouvait de l'or et du temps pour tout. Ses fantaisies
devenaient aussit�t celles de tout le monde. Toutes les femmes
l'aimaient, et les hommes �taient tellement subjugu�s par lui, qu'ils ne
songeaient point � en �tre jaloux.

Comment, au milieu d'un tel entra�nement, aurais-je pu rester insensible
� la gloire d'�tre recherch�e par l'homme qui fanatisait toute une
province? Leoni nous accablait de soins et nous entourait d'hommages.
Nous �tions devenues, ma m�re et moi, les femmes les plus � la mode
de la ville. Nous marchions � ses c�t�s, � la t�te de tous les
divertissements; il nous aidait � d�ployer un luxe effr�n�; il dessinait
nos toilettes et composait nos costumes de caract�re: car il s'entendait
� tout, et aurait fait lui-m�me au besoin nos robes et nos turbans. Ce
fut par de tels moyens qu'il accapara l'affection de la famille. Ma
tante fut la plus difficile � conqu�rir. Longtemps elle r�sista et nous
affligea de ses tristes observations.--Leoni, disait-elle, �tait un
homme sans conduite, un joueur effr�n�. Il gagnait et il perdait chaque
soir la fortune de vingt familles; il d�vorerait la n�tre en une nuit.
Mais Leoni entreprit de l'adoucir, et il y r�ussit en s'emparant de sa
vanit�, ce levier qu'il manoeuvrait si puissamment en ayant l'air de
l'effleurer. Bient�t il n'y eut plus d'obstacles. Ma main lui fut
promise avec une dot d'un demi-million; ma tante fit observer encore
qu'il fallait avoir des renseignements plus certains sur la fortune et
la condition de cet �tranger. Leoni sourit et promit de fournir ses
titres de noblesse et de propri�t� en moins de vingt jours. Il traita
fort l�g�rement la r�daction du contrat, qui fut dress� de la mani�re
la plus lib�rale et la plus confiante envers lui. Il paraissait �
peine savoir ce que je lui apportais. M. Delpech et, sur la parole de
celui-ci, tous les nouveaux amis de Leoni assuraient qu'il avait quatre
fois plus de fortune que nous, et qu'en m'�pousant il faisait un mariage
d'amour. Je me laissai facilement persuader. Je n'avais jamais �t�
tromp�e, et je ne me repr�sentais les faussaires et les filous que sous
les haillons de la mis�re et les dehors de l'ignominie...

Previous Page | Next Page


Books | Photos | Paul Mutton | Fri 19th Dec 2025, 20:58