Leone Leoni by George Sand


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Page 10

Un sentiment p�nible oppressa la poitrine de Juliette. Elle s'arr�ta, et
me regarda d'un air �gar�.--Pauvre enfant! lui dis-je, Dieu aurait d� te
prot�ger.

--Oh! me dit-elle en fron�ant l�g�rement son sourcil d'�b�ne, j'ai
prononc� des mots affreux; que Dieu me les pardonne! Je n'ai pas de
haine dans le coeur, et je n'accuse point Leoni d'�tre un sc�l�rat; non,
non, car je ne veux pas rougir de l'avoir aim�. C'est un malheureux
qu'il faut plaindre. Si vous saviez... Mais je vous dirai tout.

--Continue ton histoire, lui dis-je; Leoni est assez coupable: ton
intention n'est pas de l'accuser plus qu'il ne le m�rite.

Juliette reprit son r�cit.

Le fait est qu'il m'aimait, il m'aimait pour moi-m�me; la suite l'a bien
prouv�. Ne secouez pas la t�te, Bustamente. Leoni est un corps robuste,
anim� d'une �me immense; toutes les vertus et tous les vices, toutes les
passions coupables et saintes y trouvent place en m�me temps. Personne
n'a jamais voulu le juger impartialement; il avait bien raison de le
dire, moi seule l'ai connu et lui ai rendu justice.

Le langage qu'il me parlait �tait si nouveau � mon oreille, que j'en
�tais enivr�e. Peut-�tre l'ignorance absolue o� j'avais v�cu de tout
ce qui touchait au sentiment me faisait-elle para�tre ce langage plus
d�licieux et plus extraordinaire qu'il n'e�t sembl� � une fille plus
exp�riment�e. Mais je crois (et d'autres femmes le croient aussi) que
nul homme sur la terre n'a ressenti et exprim� l'amour comme Leoni.
Sup�rieur aux autres hommes dans le mal et dans le bien, il parlait une
autre langue, il avait d'autres regards, il avait aussi un autre coeur.
J'ai entendu dire � une dame italienne qu'un bouquet dans la main de
Leoni avait plus de parfum que dans celle d'un autre, et il en �tait
ainsi de tout. Il donnait du lustre aux choses les plus simples, et
rajeunissait les moins neuves. Il y avait un prestige autour de lui; je
ne pouvais ni ne d�sirais m'y soustraire. Je me mis � l'aimer de toutes
mes forces.

Dans ce moment je me sentis grandir � mes propres yeux. Que ce f�t
l'ouvrage de Dieu, celui de Leoni ou celui de l'amour, une �me forte se
d�veloppa et s'�panouit dans mon faible corps. Chaque jour je sentis un
monde de pens�es nouvelles se r�v�ler � moi. Un mot de Leoni faisait
�clore en moi plus de sentiments que les frivoles discours entendus dans
toute ma vie. Il voyait ce progr�s, il en �tait heureux et fier.
Il voulut le h�ter et m'apporta des livres. Ma m�re en regarda la
couverture dor�e, le v�lin et les gravures. Elle vit � peine le titre
des ouvrages qui allaient bouleverser ma t�te et mon coeur. C'�taient
de beaux et chastes livres, presque tous �crits par des femmes sur des
histoires de femmes: _Val�rie_, _Eug�ne de Rothelin_, _Mademoiselle de
Clermont, Delphine._ Ces r�cits touchants et passionn�s, ces aper�us
d'un monde id�al pour moi �lev�rent mon �me, mais ils la d�vor�rent.
Je devins romanesque, caract�re le plus infortun� qu'une femme puisse
avoir.

[Illustration: Je vis Henryet qui se rapprochait.]



VI.

Trois mois avaient suffi pour cette m�tamorphose. J'�tais � la veille
d'�pouser Leoni. De tous les papiers qu'il avait promis de fournir, son
acte de naissance et ses lettres de noblesse �taient seuls arriv�s.
Quant aux preuves de sa fortune, il les avait demand�es � un autre homme
de loi, et elles n'arrivaient pas. Il t�moignait une douleur et une
col�re extr�mes de ce retard, qui faisait toujours ajourner notre union.
Un matin, il entra chez nous d'un air d�sesp�r�. Il nous montra une
lettre non timbr�e qu'il venait de recevoir, disait-il, par une occasion
particuli�re. Cette lettre lui annon�ait que son charg� d'affaires �tait
mort, que son successeur ayant trouv� ses papiers en d�sordre �tait
forc� de faire un grand travail pour les reconna�tre, et qu'il demandait
encore une ou deux semaines avant de pouvoir fournir � _sa seigneurie_
les pi�ces qu'elle r�clamait. Leoni �tait furieux de ce contre-temps; il
mourrait d'impatience et de chagrin, disait-il, avant la fin de cette
horrible quinzaine. Il se laissa tomber sur un fauteuil en fondant en
larmes.

Non, ce n'�taient pas des larmes feintes; ne souriez pas, don Aleo. Je
lui tendis la main pour le consoler; je la sentis baign�e de ses pleurs,
et, frapp�e aussit�t d'une commotion sympathique, je me mis � sangloter.

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Books | Photos | Paul Mutton | Fri 19th Dec 2025, 22:58