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Page 5
Insensiblement je m'�tais laiss� aller � exprimer tout haut mes
anxi�t�s. Juliette s'�tait soulev�e sur un bras; et, pench�e en avant
sur les coussins, elle m'�coutait tristement.
--Ecoute, lui dis-je en m'approchant d'elle, j'imagine une nouvelle
cause � ton mal. Je l'ai trop comprim�, tu l'as trop refoul� dans ton
coeur; j'ai craint l�chement de voir cette plaie, dont l'aspect me
d�chirait; et toi, par g�n�rosit�, tu me l'as cach�e. Ainsi n�glig�e et
abandonn�e, ta blessure s'est envenim�e tous les jours, quand tous les
jours j'aurais d� la soigner et l'adoucir. J'ai eu tort, Juliette. Il
faut montrer ta douleur, il faut la r�pandre dans mon sein; il faut
me parler de tes maux pass�s, me raconter ta vie � chaque instant, me
nommer mon ennemi; oui, il le faut. Tout � l'heure tu as dit un mot que
je n'oublierai pas; tu m'as conjur� de te faire au moins entendre son
nom. Eh bien! pronon�ons-le ensemble, ce nom maudit qui te br�le la
langue et le coeur. Parlons de Leoni. Les yeux de Juliette brill�rent
d'un �clat involontaire. Je me sentis oppress�; mais je vainquis ma
souffrance, et je lui demandai si elle approuvait mon projet.
--Oui, me dit-elle d'un air s�rieux, je crois que tu as raison. Vois-tu,
j'ai souvent la poitrine pleine de sanglots; la crainte de t'affliger
m'emp�che de les r�pandre, et j'amasse dans mon sein des tr�sors de
douleur. Si j'osais m'�pancher devant toi, je crois que je souffrirais
moins. Mon mal est comme un parfum qui se garde �ternellement dans un
vase ferm�; qu'on ouvre le vase, et le parfum s'�chappe bien vite. Si
je pouvais parler sans cesse de Leoni, te raconter les moindres
circonstances de notre amour, je me remettrais � la fois sous les yeux
le bien et le mal qu'il m'a faits; tandis que ton aversion me semble
souvent injuste, et que, dans le secret de mon coeur, j'excuse des torts
dont le r�cit, dans la bouche d'un autre, me r�volterait.
--Eh bien! lui dis-je, je veux les apprendre de la tienne. Je n'ai
jamais su les d�tails de cette funeste histoire; je veux que tu me les
dises, que tu me racontes ta vie tout enti�re. En connaissant mieux
tes maux, j'apprendrai peut-�tre � les mieux adoucir. Dis-moi tout,
Juliette; dis-moi par quels moyens ce Leoni a su se faire tant aimer;
dis-moi quel charme, quel secret il avait; car je suis las de chercher
en vain le chemin inabordable de ton coeur. Je t'�coute, parle.
--Ah! oui, je le veux bien, r�pondit-elle; cela va enfin me soulager.
Mais laisse-moi parler, et ne m'interromps par aucun signe de chagrin ou
d'emportement; car je dirai les choses comme elles se sont pass�es; je
dirai le bien et le mal, combien j'ai souffert et combien j'ai aim�.
--Tu diras tout et j'entendrai tout, lui r�pondis-je. Je fis apporter de
nouvelles bougies et ranimer le feu. Juliette parla ainsi.
III.
Vous savez que je suis fille d'un riche bijoutier de Bruxelles. Mon p�re
�tait habile dans sa profession, mais peu cultiv� d'ailleurs. De simple
ouvrier il s'�tait �lev� � la possession d'une belle fortune que le
succ�s de son commerce augmentait de jour en jour. Malgr� son peu
d'�ducation, il fr�quentait les maisons les plus riches de la province,
et ma m�re, qui �tait jolie et spirituelle, �tait bien accueillie dans
la soci�t� opulente des n�gociants.
Mon p�re �tait doux et apathique. Cette disposition augmentait chaque
jour avec sa richesse et son bien-�tre. Ma m�re, plus active et plus
jeune, jouissait d'une ind�pendance illimit�e, et profitait avec ivresse
des avantages de la fortune et des plaisirs du monde. Elle �tait bonne,
sinc�re et pleine de qualit�s aimables; mais elle �tait naturellement
l�g�re, et sa beaut�, merveilleusement respect�e par les ann�es,
prolongeait sa jeunesse aux d�pens de mon �ducation. Elle m'aimait
tendrement, � la v�rit�, mais sans prudence et sans discernement. Fi�re
de ma fra�cheur et des frivoles talents qu'elle m'avait fait acqu�rir,
elle ne songeait qu'� me promener et � me produire; elle �prouvait
un doux mais dangereux orgueil � me couvrir sans cesse de parures
nouvelles, et � se montrer avec moi dans les f�tes. Je me souviens de ce
temps avec douleur et pourtant avec plaisir; j'ai fait depuis de tristes
r�flexions sur le futile emploi de mes jeunes ann�es, et cependant je le
regrette, ce temps de bonheur et d'impr�voyance qui aurait du ne jamais
finir ou ne jamais commencer. Je crois encore voir ma m�re avec sa
taille rondelette et gracieuse, ses mains si blanches, ses yeux si
noirs, son sourire si coquet, et cependant si bon, qu'on voyait
au premier coup d'oeil qu'elle n'avait jamais connu ni soucis ni
contrari�t�s, et qu'elle �tait incapable d'imposer aux autres aucune
contrainte, m�me � bonne intention. Oh! oui, je me souviens d'elle! je
me rappelle nos longues matin�es consacr�es � m�diter et � pr�parer
nos toilettes de bal, nos apr�s-midi employ�es � une autre toilette si
v�tilleuse, qu'il nous restait � peine une heure pour aller nous montrer
� la promenade. Je me repr�sente ma m�re avec ses robes de satin, ses
fourrures, ses longues plumes blanches, et tout le l�ger volume des
blondes et des rubans. Apr�s avoir achev� sa toilette, elle s'oubliait
un instant pour s'occuper de moi. J'�prouvais bien quelque ennui �
d�lacer mes brodequins de satin noir pour effacer un l�ger pli sur le
pied, ou bien � essayer vingt paires de gants avant d'en trouver une
dont la nuance ros�e f�t assez fra�che � son gr�. Ces gants collaient si
exactement, que je les d�chirais apr�s avoir pris mille peines pour les
mettre; il fallait recommencer, et nous en entassions les d�bris avant
d'avoir choisi ceux que je devais porter une heure et l�guer � ma femme
de chambre. Cependant on m'avait tellement accoutum�e d�s l'enfance �
regarder ces minuties comme les occupations les plus importantes de la
vie d'une femme, que je me r�signais patiemment. Nous partions enfin,
et, au bruit de nos robes de soie, au parfum de nos manchons, on se
retournait pour nous voir. J'�tais habitu�e � entendre notre nom sortir
de la bouche de tous les hommes, et � voir tomber leurs regards sur mon
front impassible. Ce m�lange de froideur et d'innocente effronterie
constitue ce qu'on appelle la bonne tenue d'une jeune personne. Quant �
ma m�re, elle �prouvait un double orgueil � se montrer et � montrer sa
fille; j'�tais un reflet, ou, pour mieux dire, une partie d'elle-m�me,
de sa beaut�, de sa richesse; son bon go�t brillait dans ma parure; ma
figure, qui ressemblait � la sienne, lui rappelait, ainsi qu'aux autres,
la fra�cheur � peine alt�r�e de sa premi�re jeunesse; de sorte qu'en me
voyant marcher, toute fluette, � c�t� d'elle, elle croyait se voir deux
fois, p�le et d�licate comme elle avait �t� � quinze ans, brillante et
belle comme elle l'�tait encore. Pour rien au monde elle ne se serait
promen�e sans moi, elle se serait crue incompl�te et � demi habill�e.
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