Leone Leoni by George Sand


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Page 45

Je pris mon chapeau et mon ch�le sans r�pondre. Pendant que je
m'habitais, des larmes coulaient lentement sur mes joues. Au moment de
sortir avec moi de ma chambre, Leoni les essuya avec ses l�vres et me
pressa mille fois encore dans ses bras, en me nommant sa bienfaitrice,
son ange tut�laire et sa seule amie.

Je traversai eu tremblant les vastes appartements de la princesse.
Envoyant la richesse de cette maison, j'avais un serrement de coeur
indicible, et je me rappelais les dures paroles d'Henryet:--Quand elle
sera morte, vous serez riche, Juliette; vous h�riterez de son luxe, vous
coucherez dans son lit et vous pourrez porter ses robes. Je baissais les
yux en passant aupr�s des laquais; il me semblait qu'ils me regardaient
avec haine et avec envie; et je me sentais plus vile qu'eux. Leoni
serrait mon bras sous le sien en sentant trembler mon corps et fl�chir
mes jambes:--Courage, courage! me disait-il tout bas.

Enfin nous arriv�mes � la chambre � coucher. La princesse �tait �tendue
sur une chaise longue et semblait nous attendre impatiemment. C'�tait
une femme de trente ans environ, tr�s-maigre, d'un jaune uni, et
magnifiquement �l�gante quoique en d�shabill�. Elle avait d� �tre
tr�s-belle au temps de sa fra�cheur, et elle avait encore une
physionomie charmante. La maigreur de ses joues exag�rait la grandeur de
ses yeux, dont le blanc, vitrifi� par la consomption, ressemblait � de
la nacre de perle. Ses cheveux, fins et plats, �taient d'un noir luisant
et semblaient d�biles et malades comme toute sa personne. Elle fit, en
me voyant, une l�g�re exclamation de joie, et me tendit une longue main
effil�e et bleu�tre que je crois voir encore. Je compris, � un regard de
Leoni, que je devais baiser cette main, et je me r�signai.

Leoni se sentait mal � l'aise sans doute, et cependant son aplomb et le
calme de ses mani�res me confondirent. Il parlait de moi � sa ma�tresse
comme si elle n'e�t jamais pu d�couvrir sa fourberie, et il lui
exprimait sa tendresse devant moi comme s'il m'e�t �t� impossible d'en
ressentir de la douleur ou du d�pit. La princesse semblait de temps en
temps avoir des retours de m�fiance, et je vis, � ses regards et � ses
paroles, qu'elle m'�tudiait pour d�truire ses soup�ons ou pour les
confirmer. Ma douceur naturelle excluant toute esp�ce de haine, elle
prit vite confiance en moi; et, jalouse qu'elle �tait avec emportement,
elle pensa qu'il �tait impossible � une autre femme de consentir au r�le
que je jouais. Une intrigante aurait pu l'accepter, mais mon ton et
ma physionomie d�mentaient cette conjecture. La princesse se prit de
passion pour moi. Elle ne voulait plus que je sortisse de sa chambre,
elle m'accablait de dons et de caresses. Je fus un peu humili�e de sa
g�n�rosit� et j'eus envie de refuser; mais la crainte de d�plaire �
Leoni me fit supporter encore cette mortification. Ce que j'eus �
souffrir dans les premiers jours, et les efforts que je fis pour
assouplir � ce point mon orgueil, sont des choses inou�es. Cependant
peu � peu ces souffrances s'apais�rent et ma situation d'esprit
devint tol�rable. Leoni me t�moignait � la d�rob�e une reconnaissance
passionn�e et une tendresse d�lirante. La princesse, malgr� ses
caprices, ses impatiences, et tout le mal que son amour pour Leoni me
causait, me devint agr�able et presque ch�re. Elle avait le coeur ardent
plut�t que tendre, et le caract�re prodigue, plut�t que g�n�reux. Mais
elle avait dans les mani�res une gr�ce irr�sistible; l'esprit dont
p�tillait son langage, au milieu des plus vives souffrances, le choix
des mots ing�nieux et caressants avec lesquels elle me remerciait de
mes complaisances ou me priait d'oublier ses emportements, ses petites
flatteries, ses finesses, sa coquetterie qui la suivit jusqu'au
tombeau, tout en elle avait un caract�re d'originalit�, de noblesse et
d'�l�gance, dont j'�tais d'autant plus frapp�e que je n'avais jamais vu
de pr�s aucune femme de son rang, et que je n'�tais point accoutum�e
� ce grand charme que leur donne l'usage de la bonne compagnie. Elle
poss�dait ce don � un tel point, que je ne pus y r�sister, et que je me
laissai dominer � son gr�; elle �tait si malicieuse et si aimable avec
Leoni, que je concevais qu'il f�t devenu amoureux d'elle, et que j'avais
fini par m'habituer � voir leurs baisers et � entendre leurs fadeurs
sans en �tre r�volt�e. Il y avait vraiment des jours o� ils avaient
assez de gr�ce et d'esprit l'un et l'autre pour que j'eusse du plaisir
� les �couter, et Leoni trouvait le moyen de m'adresser des choses
si d�licates, que je me sentais encore heureuse dans mon abominable
abaissement. La haine que les laquais et les subalternes m'avaient
d'abord t�moign�e s'�tait vite apais�e, gr�ce au soin que j'avais
pris de leur abandonner tous les petits pr�sents que me faisait leur
ma�tresse. J'eus m�me l'affection et la confiance des neveux et des
cousins; une tr�s-jolie petite ni�ce, que la princesse refusait
obstin�ment de voir, fut enfin introduite par mes soins jusqu'� elle et
lui plut extr�mement. Je la priai alors de me permettre de donner � cet
enfant un joli �crin qu'elle m'avait forc�e d'accepter dans la matin�e;
et cet acte de g�n�rosit� l'engagea � remettre � la petite fille un
pr�sent beaucoup plus consid�rable. Leoni, qui n'avait rien de mesquin
ni de petit dans sa cupidit�, vit avec plaisir le secours accord� � une
orpheline pauvre, et les autres parents commenc�rent � croire qu'ils
n'avaient rien � craindre de nous, et que nous n'avions pour la
princesse qu'une amiti� noble et d�sint�ress�e. Les tentatives de
d�lation contre moi cess�rent donc enti�rement, et, pendant deux mois,
nous e�mes une vie tr�s calme. Je m'�tonnai d'�tre presque heureuse.

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Books | Photos | Paul Mutton | Tue 23rd Dec 2025, 8:18