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Page 43
Leoni tomba dans une r�verie douloureuse pendant laquelle il murmurait
sans cesse le nom de sa victime.
--Paul Henryet! disait-il. Vingt-deux ou vingt-quatre ans tout au plus.
Une figure froide, mais belle. Un caract�re raide et probe. La haine de
l'injustice. L'orgueil brutal de l'honn�tet�, et pourtant quelque chose
de tendre et de m�lancolique. Il aimait Juliette, il l'a toujours
aim�e. Il combattait en vain sa passion. Je vois par cette lettre qu'il
l'aimait encore, et qu'il l'aurait ador�e s'il avait pu la gu�rir.
Juliette, Juliette! tu pouvais encore �tre heureuse avec lui; et je l'ai
tu�! Je t'ai ravi celui qui pouvait te consoler; ton seul d�fenseur
n'est plus, et tu demeures la proie d'un bandit.
--Tr�s-beau! dit le marquis; je voudrais que tu ne fisses pas un
mouvement des l�vres sans avoir un st�nographe � tes c�t�s pour
conserver tout ce que tu dis de noble et de touchant. Moi, je vais
dormir; bonsoir, mon cher, couche avec ta femme, mais change de chemise,
car, le diable m'emporte! tu as le sang d'Henryet sur ton jabot!
Le marquis sortit. Leoni, apr�s un instant d'immobilit�, vint � mon lit,
souleva le rideau et me regarda. Alors il vit que j'�tais assoupie sous
mes couvertures, et que j'avais les yeux ouverts et attach�s sur lui. Il
ne put soutenir l'aspect de mon visage livide et de mon regard fixe: il
recula avec un cri de terreur, et je lui dis d'une voix faible et br�ve,
� plusieurs reprises: �Assassin! assassin! assassin!�
Il tomba sur ses genoux comme frapp� de la foudre, et il se tra�na
jusqu'� mon lit d'un air suppliant. �Couche avec ta femme, lui dis je en
r�p�tant les paroles du marquis dans une sorte de d�lire; mais change de
chemise, car tu as le sang d'Henryet sur ton jabot!�
[Illustration: C'�tait une chose tr�s-belle � voir..... que ce duel au
couteau.]
Leoni tomba la face contre terre en poussant des cris inarticul�s. Je
perdis tout � fait la raison, et il me semble que je r�p�tai ses cris
en imitant avec une servilit� stupide l'inflexion de sa voix et les
convulsions de sa poitrine. Il me crut folle, et, se relevant avec
terreur, il vint � moi. Je crus qu'il allait me tuer; je me jetai
dans la ruelle en criant: �Gr�ce! gr�ce! je ne le dirai pas!� et je
m'�vanouis au moment o� il me saisissait pour me relever et me secourir.
XIX
Je m'�veillai encore dans ses bras, et jamais, il n'eut tant
d'�loquence, tant de tendresse et tant de larmes pour implorer son
pardon. Il avoua qu'il �tait le dernier des hommes; mais il me dit
qu'une seule chose le relevait � ses propres yeux, c'�tait l'amour qu'il
avait toujours eu pour moi, et qu'aucun de ses vices, aucun de ses
crimes, n'avait eu la force d'�touffer. Jusque-l� il s'�tait d�battu
contre les apparences qui l'accusaient de toutes parts. Il avait lutt�
contre l'�vidence pour conserver mon estime. D�sormais, ne pouvant plus
se justifier par le mensonge, il prit une autre voie et embrassa un
nouveau r�le pour m'attendrir et me vaincre. Il se d�pouilla de tout
artifice (peut-�tre devrais-je dire de toute pudeur), et me confessa
toutes les turpitudes de sa vie. Mais, au milieu de cet ab�me, il me fit
voir et comprendre ce qu'il y avait de vraiment beau en lui, la facult�
d'aimer, l'�ternelle vigueur d'une �me o� les plus rudes fatigues, les
plus dangereuses �preuves n'�teignaient point le feu sacr�.--Ma conduite
est vile, me dit-il; mais mon coeur est toujours noble; il saigne
toujours de ses torts; il a conserv�, aussi �nergique, aussi pur que
dans sa premi�re jeunesse, le sentiment du juste et de l'injuste,
l'horreur du mal qu'il commet, l'enthousiasme du beau qu'il contemple.
Ta patience, tes vertus, ta bont� ang�lique, ta mis�ricorde in�puisable
comme celle de Dieu, ne peuvent s'exercer en faveur d'un �tre qui
les comprenne mieux et qui les admire davantage. Un homme de moeurs
r�guli�res et de conscience d�licate les trouverait plus naturelles et
les appr�cierait moins. Avec cet homme-l� d'ailleurs tu ne serais qu'une
honn�te femme; avec un homme tel que moi, tu es une femme sublime, et la
dette de reconnaissance qui s'amasse dans mon coeur est immense comme
tes souffrances et tes sacrifices. Va, c'est quelque chose que d'�tre
aim�e et que d'avoir droit � une passion immense; sur quel autre
auras-tu jamais ce droit comme sur moi? Pour qui recommenceras-tu les
tourments et le d�sespoir que tu as subis? Crois-tu qu'il y ait autre
chose dans la vie que l'amour? Pour moi, je ne le crois pas. Et crois-tu
que ce soit chose facile que de l'inspirer et de le ressentir? Des
milliers d'hommes meurent incomplets, sans avoir connu d'autre amour que
celui des b�tes; souvent un coeur capable de le ressentir cherche en
vain o� le placer, et sort vierge de tous les embrassements terrestres
pour l'aller trouver peut-�tre dans les cieux. Ah! quand Dieu nous
l'accorde sur la terre, ce sentiment profond, violent, ineffable, il
ne faut plus, Juliette, d�sirer ni esp�rer le paradis; car le paradis,
c'est la fusion de deux �mes dans un baiser d'amour. Et qu'import�,
quand nous l'avons trouv� ici-bas, que ce soit dans les bras d'un saint
ou d'un damn�? qu'il soit maudit ou ador� parmi les hommes, celui que tu
aimes, que t'importe, pourvu qu'il te le rende? Est-ce moi que tu aimes
ou est-ce le bruit qui se fait autour de moi? Qu'as-tu aim� en moi
d�s le commencement? est-ce l'�clat qui m'environnait? Si tu me hais
aujourd'hui, il faudra que je doute de ton amour pass�; il faudra qu'au
lieu de cet ange, au lieu de cette victime d�vou�e dont le sang r�pandu
pour moi coule incessamment goutte � goutte sur mes l�vres, je ne voie
plus en toi qu'une pauvre fille cr�dule et faible qui m'a aim� par
vanit� et qui m'abandonne par �go�sme, Juliette, Juliette, songe � ce
que tu fais si tu me quittes! Tu perdras le seul ami qui te connaisse,
qui t'appr�cie et qui te v�n�re, pour un monde qui te m�prise d�j�, et
dont tu ne retrouveras pas l'estime. Il ne te reste que moi au monde, ma
pauvre enfant; il faut que tu t'attaches � la fortune de l'aventurier,
ou que tu meures oubli�e dans un couvent. Si tu me quittes, tu es aussi
insens�e que cruelle; tu auras eu tous les maux, toute la peine, et tu
n'en recueilleras pas les fruits; car � pr�sent, si, malgr� tout ce que
tu sais, tu peux encore m'aimer et me suivre, sache que j'aurai pour toi
un amour dont tu n'as pas l'id�e, et que jamais je n'aurais seulement
soup�onn� si je t'eusse �pous�e loyalement et si j'eusse v�cu avec toi
en paix au sein de ta famille. Jusqu'ici, malgr� tout ce que tu as
sacrifi�, tout ce que tu as souffert, je ne t'ai pas encore aim�e comme
je me sens capable de le faire. Tu ne m'avais pas encore aim� tel que
je suis; tu t'attachais � un faux Leoni en qui tu voyais encore quelque
grandeur et quelque s�duction. Tu esp�rais qu'il deviendrait un jour
l'homme que tu avais aim� d'abord; tu ne croyais pas serrer dans tes
bras un homme absolument perdu. Et moi, je me disais: Elle m'aime
conditionnellement; ce n'est pas encore moi qu'elle aime, c'est le
personnage que je joue. Quand elle verra mes traits sous mon masque,
elle s'enfuira en se couvrant les yeux, elle aura en horreur l'amant
qu'elle presse maintenant sur son sein. Non, elle n'est pas la femme et
la ma�tresse que j'avais r�v�e, et que mon �me ardente appelle de tous
ses voeux. Juliette fait encore partie de cette soci�t� dont je suis
l'ennemi; elle sera mon ennemie quand elle me conna�tra. Je ne puis me
confier � elle, je ne puis �pancher dans le sein d'aucun �tre vivant la
plus odieuse de mes angoisses, la honte que j'ai de ce que je fais tous
les jours. Je souffre, j'amasse des remords. S'il existait une cr�ature
capable de m'aimer sans me demander de changer, si je pouvais avoir
une amie qui ne f�t pas un accusateur et un juge!.... Voil� ce que je
pensais, Juliette. Je demandais cette amie au ciel; mais je demandais
que ce f�t toi, et non une autre; car tu �tais d�j� ce que j'aimais le
mieux sur la terre avant de comprendre tout ce qui nous restait � faire
l'un et l'autre pour nous aimer v�ritablement.
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