Leone Leoni by George Sand


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Page 27

--O ciel! lui r�pondis-je, de quels sophismes votre coeur s'est-il donc
nourri, ou bien quelle est la faiblesse de mon intelligence? Quoi! le
joueur ne serait pas m�prisable? O Leoni, pourquoi, ayant tant de
force, ne l'avez-vous pas employ�e � vous dompter dans l'int�r�t de vos
semblables?

--C'est, r�pondit-il d'un ton ironique et amer, que j'ai mal compris la
vie, apparemment; c'est que mon amour-propre m'a mal conseill�. C'est
qu'au lieu de monter sur un th��tre somptueux, je suis mont�s sur un
th��tre en plein vent; c'est qu'au lieu de m'employer � d�clamer
de sp�cieuses moralit�s sur la sc�ne du monde et � jouer les r�les
h�ro�ques, je me suis amus�, pour donner carri�re � la vigueur de mes
muscles, � faire des tours de force et � me risquer sur un fil d'archal.
Et encore cette comparaison ne vaut rien: le saltimbanque a sa vanit�,
connue le trag�dien, comme l'orateur philanthrope. Le joueur n'en a pas;
il n'est ni admir�, ni applaudi, ni envi�. Ses triomphes sont si courts
et si hasard�s, que ce n'est pas la peine d'en parler. Au contraire, la
soci�t� le condamne, le vulgaire le m�prise, surtout les jours o� il
a perdu. Tout son charlatanisme consiste � faire bonne contenance, �
tomber d�cemment devant un groupe d'int�ress�s qui ne le regardent m�me
pas, tant ils ont une autre contention d'esprit qui les absorbe! Si dans
ses rapides heures de fortune il trouve quelque plaisir � satisfaire les
vulgaires vanit�s du luxe, c'est un tribut bien court qu'il paie aux
faiblesses humaines. Bient�t il va sacrifier sans piti� ces pu�riles
jouissances d'un instant � l'activit� d�vorante de son �me, � celle
fi�vre infernale qui ne lui permet pas de vivre tout un jour de la vie
des autres hommes. De la vanit� � lui! il n'en a pas le temps, il a bien
autre chose � faire! N'a-t-il pas son coeur � faire souffrir, sa t�te �
bouleverser, son sang � boire, sa chair � tourmenter, son or � perdre,
sa vie � remettre en question, � reconstruire, � d�faire, � tordre, �
d�chirer par lambeaux, � risquer en bloc, � reconqu�rir pi�ce � pi�ce, �
mettre dans sa bourse, � jeter sur la table � chaque instant? Demandez
au marin s'il peut vivre � terre, � l'oiseau s'il peut �tre heureux sans
ses ailes, au coeur de l'homme s'il peut se passer d'�motions.

Le joueur n'est donc pas criminel par lui-m�me; c'est sa position
sociale qui presque toujours le rend tel, c'est sa famille qu'il ruine
ou qu'il d�shonore. Mais supposez-le, comme moi, isol� dans le monde,
sans affections, sans parent�s assez intimes pour �tre prises en
consid�ration, libre, abandonn� � lui-m�me, rassasi� ou tromp� en
amour, comme je l'ai �t� si souvent, et vous plaindrez son erreur, vous
regretterez pour lui qu'il ne soit pas n� avec un temp�rament sanguin et
vaniteux plut�t qu'avec un temp�rament bilieux et concentr�.

O� prend-on que le joueur soit dans la m�me cat�gorie que les
flibustiers et les brigands? Demandez aux gouvernements pourquoi ils
tirent une partie de leurs richesses d'une source si honteuse! Eux seuls
sont coupables d'offrir ces horribles tentations � l'inqui�tude, ces
funestes ressources au d�sespoir.

Si l'amour du jeu n'est pas en lui-m�me aussi honteux que la plupart des
autres penchants, c'est le plus dangereux de tous, le plus �pre, le plus
irr�sistible, celui dont les cons�quences sont les plus mis�rables. Il
est presque impossible au joueur de ne pas se d�shonorer au bout de
quelques ann�es.

Quant � moi, poursuivit-il d'un air plus sombre et d'une voix moins
vibrante, apr�s avoir pendant longtemps support� cette vie d'angoisses
et de convulsions avec l'h�ro�sme chevaleresque qui �tait � la base de
mon caract�re, je me laissai enfin corrompre; c'est � dire que, mon �me
s'usant peu � peu � ce combat perp�tuel, je perdis la force sto�que avec
laquelle j'avais su accepter les revers, supporter les privations d'une
affreuse mis�re, recommencer patiemment l'�difice de ma fortune, parfois
avec une obole, attendre, esp�rer, marcher prudemment et pas � pas,
sacrifier tout un mois � r�parer les pertes d'un jour. Telle fut
longtemps ma vie. Mais enfin, las de souffrir, je commen�ai � chercher
hors de ma volont�, hors de ma vertu (car il faut bien le dire, le
joueur a sa vertu aussi), les moyens de regagner plus vite les valeurs
perdues; j'empruntai, et d�s lors je fus perdu moi-m�me.

On souffre d'abord cruellement de se trouver dans une situation
ind�licate; et puis on s'y fait comme � tout, on s'�tourdit, on se
blase. Je fis comme font les joueurs et les prodigues; je devins
nuisible et dangereux � mes amis. J'accumulai sur leurs t�tes les maux
que longtemps j'avais courageusement assum�s sur la mienne. Je fus
coupable; je risquai mon honneur, puis l'existence et l'honneur de mes
proches, comme j'avais risqu� mes biens. Le jeu a cela d'horrible, qu'il
ne vous donne pas de ces le�ons sur lesquelles il n'y a point � revenir.
Il est toujours l� qui vous appelle! Cet or, qui ne s'�puise jamais, est
toujours devant vos yeux. Il vous suit, il vous invite, il vous dit:
�Esp�re!� et parfois il tient ses promesses, il vous rend l'audace, il
r�tablit votre cr�dit, il semble retarder encore le d�shonneur; mais le
d�shonneur est consomm� du jour o� l'honneur est volontairement mis en
risque.

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Books | Photos | Paul Mutton | Sun 21st Dec 2025, 19:08