Leone Leoni by George Sand


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Page 26

--Je les sais, lui dis-je; et si tu m'aimais, je serais insensible �
tout le reste...

--Tu les sais! s'�cria-t-il d'un air �gar�, tu les sais! Que sais-tu?

--Je sais que vous �tes ruin�, que ce palais n'est point � vous, que
vous avez mang� en trois mois une somme immense; je sais que vous �tes
habitu� � cette existence aventureuse et � ces d�sordres. J'ignore
comment vous d�faites si vite et comment vous r�tablissez votre fortune
ainsi; je pense que le jeu est votre perte et votre ressource; je crois
que vous avez autour de vous une soci�t� funeste, et que vous luttez
contre d'affreux conseils; je crois que vous �tes au bord d'un ab�me,
mais que vous pouvez encore le fuir.

--Eh bien! oui, tout cela est vrai, s'�cria-t-il, tu sais tout! et tu me
le pardonnerais?

--Si je n'avais perdu votre amour, lui dis-je, je croirais n'avoir rien
perdu en quittant ce palais, ce faste et ce monde qui me sont odieux.
Quelque pauvres que nous fussions, nous pourrions toujours vivre comme
nous avons fait dans notre chalet, soit l�, soit ailleurs, si vous �tes
las de la Suisse. Si vous m'aimiez encore, vous ne seriez pas perdu;
car vous ne penseriez ni au jeu, ni � l'intemp�rance, ni � aucune des
passions que vous avez c�l�br�es dans un toast diabolique; si vous
m'aimiez, nous paierions avec ce qui vous reste ce que vous pouvez
devoir, et nous irions nous ensevelir et nous aimer dans quelque
retraite o� j'oublierais vite ce que je viens d'apprendre, o� je ne vous
le rappellerais jamais, o� je ne pourrais pas en souffrir... Si vous
m'aimiez...!

--Oh! je t'aime, je t'aime, s'�cria-t-il; partons! sauvons-nous,
Sauve-moi! Sois ma bienfaitrice, mon ange, comme tu l'as toujours �t�.
Viens, pardonne-moi!

Il se jeta � mes pieds, et tout ce que la passion la plus fervente peut
dicter, il me le dit avec tant de chaleur, que j'y crus... et que j'y
croirai toujours. Leoni me trompait, m'avilissait, et m'aimait en m�me
temps.

Un jour, pour se soustraire aux vifs reproches que je lui adressais, il
essaya de r�habiliter la passion du jeu.

--Le jeu, me dit-il avec cette �loquence sp�cieuse qui n'avait que
trop d'empire sur moi, c'est une passion bien autrement �nergique que
l'amour. Plus f�conde en drames terribles, elle est plus enivrante,
plus h�ro�que dans les actes qui concourent � son but. Il faut le dire,
h�las! si ce but est vil en apparence, l'ardeur est puissante, l'audace
est sublime, les sacrifices sont aveugles et sans bornes. Jamais, il
faut que tu le saches, Juliette, jamais les femmes n'en inspirent de
pareils. L'or est une puissance sup�rieure � la leur. En force, en
courage, en d�vouement, en pers�v�rance, au prix du joueur, l'amant
n'est qu'un faible enfant dont les efforts sont dignes de piti�.
Combien peu d'hommes avez-vous vus sacrifier � leur ma�tresse ce bien
inestimable, cette n�cessit� sans prix, cette condition d'existence sans
laquelle on pense qu'il n'y a pas d'existence supportable, l'honneur! Je
n'en connais gu�re dont le d�vouement aille plus loin que le sacrifice
de la vie. Tous les jours le joueur immole son honneur et supporte la
vie. Le joueur est �pre, il est sto�que; il triomphe froidement, il
succombe froidement; il passe en quelques heures des derniers rangs de
la soci�t� aux premiers; dans quelques heures il redescend au point
d'o� il �tait parti, et cela sans changer d'attitude ni de visage. Dans
quelques heures, sans quitter la place o� son d�mon l'encha�ne, il
parcourt toutes les vicissitudes de la vie, il passe par toutes les
chances de fortune qui repr�sentent les diff�rentes conditions sociales.
Tour � tour roi et mendiant, il gravit d'un seul bond l'�chelle immense,
toujours calme, toujours ma�tre de lui, toujours soutenu par sa robuste
ambition, toujours excit� par l'acre soif qui le d�vore. Que sera-t-il
toute l'heure? prince ou esclave? Comment sortira-t-il de cet antre?
nu, ou courb� sous le poids de l'or? Qu'importe? Il y reviendra demain
refaire sa fortune, la perdre ou la tripler. Ce qu'il y a d'impossible
pour lui, c'est le repos; il est comme l'oiseau des temp�tes, qui ne
peut vivre sans les flots agit�s et les vents en fureur. On l'accuse
d'aimer l'or? il l'aime si peu qu'il le jette � pleines mains. Ces dons
de l'enfer ne sauraient lui profiter ni l'assouvir. A peine riche, il
lui tarde d'�tre ruin� afin de go�ter encore cette nerveuse et terrible
�motion sans laquelle la vie lui est insipide. Qu'est-ce donc que l'or
� ses yeux? Moins par lui-m�me que des grains de sable aux v�tres. Mais
l'or lui est un embl�me des biens et des maux qu'il vient chercher et
braver. L'or, c'est son jouet, c'est son ennemi, c'est son Dieu, c'est
son r�ve, c'est son d�mon, c'est sa ma�tresse, c'est sa po�sie; c'est
l'ombre qu'il poursuit, qu'il attaque, qu'il �treint, puis qu'il laisse
�chapper, pour avoir le plaisir de recommencer la lutte et de se prendre
encore une fois corps � corps avec le destin. Va! c'est beau cela! c'est
absurde, il faut le condamner, parce que l'�nergie, employ�e ainsi, est
sans profit pour la soci�t�, parce que l'homme qui dirige ses forces
vers un pareil but vole � ses semblables tout le bien qu'il aurait pu
leur faire avec moins d'�go�sme; mais en le condamnant, ne le m�prisez
pas, petites organisations qui n'�tes capables ni de bien ni de mal; ne
mesurez qu'avec effroi le colosse de volont� qui lutte ainsi sur une mer
fougueuse pour le seul plaisir d'exercer sa vigueur et de la jeter en
dehors de lui. Son �go�sme le pousse au milieu des fatigues et des
dangers, comme le v�tre vous encha�ne � de patientes et laborieuses
professions. Combien comptez-vous, dans le monde, d'hommes qui
travaillent pour la patrie sans songer � eux-m�mes? Lui, il s'isole
franchement, il se met � part; il dispose de son avenir, de son pr�sent,
de son repos, de son honneur. Il se condamne � la souffrance, � la
fatigue. D�plorez son erreur, mais ne vous comparez pas � lui, dans le
secret de votre orgueil, pour vous glorifier � ses d�pens. Que son fatal
exemple serve seulement � vous consoler de votre inoffensive nullit�.

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Books | Photos | Paul Mutton | Sun 21st Dec 2025, 17:27