Leone Leoni by George Sand


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Page 23

Quelques mots que j'entendis sortir de la bouche d'un de ses compagnons
augment�rent ma tristesse et mon d�go�t � un degr� insupportable. Parmi
les douze amis de Leoni, le vicomte de Chalm, Fran�ais, soi-disant
�migr�, �tait celui dont je supportais l'assiduit� avec le plus de
peine. C'�tait le plus �g� de tous et le plus spirituel peut-�tre; mais
sous ses mani�res exquises per�ait une sorte de cynisme dont j'�tais
souvent r�volt�e. Il �tait sardonique, indolent et sec; c'�tait de plus
un homme sans moeurs et sans coeur; mais je n'en savais rien, et il me
d�plaisait suffisamment sans cela. Un soir que j'�tais sur le balcon, et
qu'un rideau de soie l'emp�chait de me voir, j'entendis qu'il disait au
marquis v�nitien:--Mais o� est donc Juliette? Cette mani�re de me nommer
me fit monter le sang au visage; j'�coutai et je restai immobile.--Je
ne sais, r�pondit le V�nitien.--Ah ��! vous �tes donc bien amoureux
d'elle?--Pas trop, r�pondit-il, mais assez.--Et Leoni?--Leoni me la
c�dera un de ces jours.--Comment! sa propre femme?--Allons donc,
marquis! est-ce que vous �tes fou? reprit le vicomte: elle n'est pas
plus sa femme que la v�tre, c'est une fille enlev�e � Bruxelles; quand
il en aura assez, ce qui ne tardera pas, je m'en chargerai volontiers.
Si vous en voulez apr�s moi, marquis, inscrivez-vous en titre.--Grand
merci, r�pondit le marquis; je sais comme vous d�pravez les femmes, et
je craindrais de vous succ�der.

Je n'en entendis pas davantage; je me penchai � demi morte sur la
balustrade, et cachant mon visage dans mon ch�le, je sanglotai de col�re
et de honte.

D�s le soir m�me j'appelai Leoni dans ma chambre, et je lui demandai
raison de la mani�re dont j'�tais trait�e par ses amis. Il prit cette
insulte avec une l�g�ret� qui m'enfon�a un trait mortel dans le
coeur.--Tu es une petite sotte, me dit-il; tu ne sais pas ce que c'est
que les hommes; leurs pens�es sont indiscr�tes et leurs paroles encore
plus; les meilleurs sont encore les rou�s. Une femme forte doit rire de
leurs pr�tentions, au lieu de s'en f�cher.

Je tombai sur un fauteuil et je fondis en larmes en m'�criant:--O ma
m�re, ma m�re! qu'est devenue votre fille!

Leoni s'effor�a de m'apaiser, et il n'y r�ussit que trop vite. Il se mit
� mes pieds, baisa mes mains et mes bras, me conjura de m�priser un sot
propos et de ne songer qu'� lui et � son amour.

--H�las! lui dis-je, que dois-je penser, quand vos amis se flattent de
me ramasser comme ils font de vos pipes quand elles ne vous plaisent
plus!

--Juliette, r�pondit-il, l'orgueil bless� te rend am�re et injuste. J'ai
�t� libertin, tu le sais, je t'ai souvent parl� des d�r�glements de ma
jeunesse; mais je croyais m'en �tre purifi� � l'air de notre vall�e. Mes
amis vivent encore dans le d�sordre o� j'ai v�cu, ils ne savent pas, ils
ne comprendraient jamais les six mois que nous avons pass�s en Suisse.
Mais toi, devrais-tu les m�conna�tre et les oublier?

Je lui demandai pardon, je versai des larmes plus douces sur son front
et sur ses beaux cheveux; je m'effor�ai d'oublier la funeste impression
que j'avais re�ue. Je me flattais d'ailleurs qu'il ferait entendre � ses
amis que je n'�tais point une fille entretenue et qu'ils eussent � me
respecter; mais il ne voulut pas le faire ou il n'y songea pas, car le
lendemain et les jours suivants je vis les regards de M. de Chalm me
suivre et me solliciter avec une impudence r�voltante.

J'�tais au d�sespoir, mais je ne savais plus comment me soustraire aux
maux o� je m'�tais pr�cipit�e. J'avais trop d'orgueil pour �tre heureuse
et trop d'amour pour m'�loigner.

Un soir, j'�tais entr�e dans le salon pour prendre un livre que j'avais
oubli� sur le piano. Leoni �tait en petit comit� avec ses �lus; ils
�taient group�s autour de la table � th� au bout de la chambre, qui
�tait peu �clair�e, et ne s'apercevaient pas de ma pr�sence. Le
vicomte semblait �tre dans une de ses dispositions taquines les plus
m�chantes.--Baron Leone de Leoni, dit-il d'une voix s�che et railleuse,
sais-tu, mon ami, que tu t'enfonces cruellement?--Qu'est-ce que tu veux
dire? reprit Leoni, je n'ai pas encore de dettes � Venise.--Mais tu en
auras bient�t.--J'esp�re que oui, r�pondit Leoni avec la plus grande
tranquillit�.--Vive Dieu! dit le marquis, tu es le premier des hommes
pour te ruiner; un demi-million en trois mois, sais-tu que c'est un
tr�s-joli train!

La surprise m'avait encha�n�e � ma place; immobile et retenant ma
respiration, j'attendis la suite de ce singulier entretien.

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Books | Photos | Paul Mutton | Sun 21st Dec 2025, 2:14