Leone Leoni by George Sand


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Page 22

--Ma Juliette, r�pondait-il, les anges sont des enfants, et vous �tes
l'un et l'autre. Vous ne savez pas que l'amour est l'emploi des plus
nobles facult�s de l'�me, et qu'on doit m�nager ces facult�s comme la
prunelle de ses yeux; vous ne savez pas, petite fille, ce que c'est que
votre propre coeur. Bonne, sensible et confiante, vous croyez que c'est
un foyer d'�ternel amour; mais le soleil lui-m�me n'est pas �ternel.
Tu ne sais pas que l'�me se fatigue comme le corps, et qu'il faut la
soigner de m�me. Laisse-moi faire, Juliette, laisse-moi entretenir le
feu sacr� dans ton coeur. J'ai int�r�t � me conserver ton amour, �
t'emp�cher de le d�penser trop vite. Toutes les femmes sont comme toi:
elles se pressent tant d'aimer que tout � coup elles n'aiment plus, sans
savoir pourquoi.

--M�chant, lui disais-je, sont-ce l� les choses que tu me disais le soir
sur la montagne? Me priais-tu de ne pas trop t'aimer? croyais-tu que
j'�tais capable de m'en lasser?

--Non, mon ange, r�pondait Leoni en baisant mes mains, et je ne le
crois pas non plus � pr�sent. Mais �coute mon exp�rience: les choses
ext�rieures ont sur nos sentiments les plus intimes une influence contre
laquelle les �mes les plus fortes luttent en vain. Dans notre vall�e,
entour�s d'air pur, de parfums et de m�lodies naturelles, nous pouvions
et nous devions �tre tout amour, toute po�sie, tout enthousiasme; mais
souviens-toi qu'encore l�, je le m�nageais, cet enthousiasme si facile
� perdre, si impossible � retrouver quand on l'a perdu; souviens-toi de
nos jours de pluie, o� je mettais une esp�ce de rigueur � t'occuper pour
te pr�server de la r�flexion et de la m�lancolie, qui en est la suite
in�vitable. Sois s�re que l'examen trop fr�quent de soi-m�me et des
autres est la plus dangereuse des recherches. Il faut secouer ce besoin
�go�ste qui nous fait toujours fouiller dans notre coeur et dans celui
qui nous aime, comme un laboureur cupide qui �puise la terre � force de
lui demander de produire. Il faut savoir se faire insensible et frivole
par intervalles; ces distractions ne sont dangereuses que pour les
coeurs faibles et paresseux. Une �me ardente doit les rechercher pour
ne pas se consumer elle-m�me; elle est toujours assez riche. Un mot, un
regard suffit pour la faire tressaillir au milieu du tourbillon l�ger
qui l'emporte, et pour la ramener plus ardente et plus tendre au
sentiment de sa passion. Ici, vois-tu, nous avons besoin de mouvement
et de vari�t�; ces grands palais sont beaux, mais ils sont tristes. La
mousse marine en ronge le pied, et l'eau limpide qui les reflete est
souvent charg�e de vapeurs qui retombent en larmes. Ce luxe est aust�re,
et ces traces de noblesse qui te plaisent ne sont qu'une longue suite
d'�pitaphes et de tombeaux qu'il faut orner de fleurs. Il faut remplir
de vivants cette demeure sonore, o� tes pas te feraient peur si tu y
�tais seule; il faut jeter de l'argent par les fen�tres � ce peuple
qui n'a pour lit que le parapet glac� des ponts, afin que la vue de
sa mis�re ne nous rende pas soucieux au milieu de notre bien-�tre.
Laisse-toi �gayer par nos rires et endormir par nos chants; suis bonne
et insouciante, je me charge d'arranger ta vie et de te la rendre
agr�able quand je ne pourrai te la rendre enivrante. Sois ma femme et
ma ma�tresse � Venise, tu redeviendras mon ange et ma sylphide sur les
glaciers de la Suisse.



XI.

C'est par de tels discours qu'il apaisait mon inqui�tude et qu'il
me tra�nait, assoupie et confiante, sur le bord de l'ab�me. Je le
remerciais tendrement de la peine qu'il prenait pour me persuader,
quand d'un signe il pouvait me faire ob�ir. Nous nous embrassions
avec tendresse, et nous retournions au salon bruyant o� nos amis nous
attendaient pour nous s�parer.

Cependant, � mesure que nos jours se succ�daient ainsi, Leoni ne prenait
plus les m�mes soins pour me les faire aimer. Il s'occupait moins de
la contrari�t� que j'�prouvais, et lorsque je la lui exprimais, il la
combattait avec moins de douceur. Un jour m�me il fut brusque et amer;
je vis que je lui causais de l'humeur: je r�solus de ne plus me plaindre
d�sormais; mais je commen�ai � souffrir r�ellement et � me trouver
malheureuse. J'attendais avec r�signation que Leoni pr�t le temps de
revenir � moi. Il est vrai que dans ces moments-l� il �tait si bon et
si tendre que je me trouvais folle et l�che d'avoir tant souffert. Mon
courage et ma confiance se ranimaient pour quelques jours; mais ces
jours de consolation �taient de plus en plus rares. Leoni, me voyant
douce et soumise, me traitait toujours avec affection, mais il ne
s'apercevait plus de ma m�lancolie; l'ennui me rongeait, Venise me
devenait odieuse: ses eaux, son ciel, ses gondoles, tout m'y d�plaisait.
Pendant les nuits de jeu, j'errais seule sur la terrasse, au haut de
la maison; je versais des larmes am�res; je me rappelais ma patrie, ma
jeunesse insouciante, ma m�re si jolie et si bonne, mon pauvre p�re si
tendre et si d�bonnaire, et jusqu'� ma tante avec ses petits soins
et ses longs sermons. Il me semblait que j'avais le mal du pays, que
j'avais envie de fuir, d'aller me jeter aux pieds de mes parents,
d'oublier � jamais Leoni. Mais si une fen�tre s'ouvrait au-dessous de
moi, si Leoni, las du jeu et de la chaleur, s'avan�ait sur le balcon
pour respirer la fra�cheur du canal, je me penchais sur la rampe pour le
voir, et mon coeur battait comme aux premiers jours de ma passion quand
il franchissait le seuil de la maison paternelle; si la lune donnait sur
lui et me permettait de distinguer sa noble taille sous le riche costume
de fantaisie qu'il portait toujours dans l'int�rieur de son palais,
je palpitais d'orgueil et de plaisir, comme le jour o� il m'avait
introduite dans ce bal d'o� nous sort�mes pour ne jamais revenir; si sa
voix d�licieuse, essayant une phrase de chant, vibrait sur les marbres
sonores de Venise et montait vers moi, je sentais mon visage inond� de
larmes, comme le soir sur la montagne quand il me chantait une romance
compos�e pour moi le matin.

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Books | Photos | Paul Mutton | Sat 20th Dec 2025, 22:56