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Page 16
Et puis il s'asseyait sur le fourrage embaum� et me lisait des po�sies
�trang�res, qu'il me traduisait avec une rapidit� et une pr�cision
inconcevables. Pendant ce temps je filais du lin dans le demi-jour de
l'�table. Il faut savoir quelle est la propret� exquise des �tables
suisses pour comprendre que nous eussions choisi la n�tre pour salon.
Elle �tait travers�e par un rapide ruisseau d'eau de roche qui la
balayait � chaque instant et qui nous r�jouissait de son petit bruit.
Des pigeons familiers y buvaient � nos pieds, et, sous la petite arcade
par laquelle l'eau rentrait, des moineaux hardis venaient se baigner et
d�rober quelques graines. C'�tait l'endroit le plus frais dans les jours
chauds, quand toutes les lucarnes �taient ouvertes, et le plus chaud
dans les jours froids quand les moindres fentes �taient tamponn�es de
paille et de bruy�re. Souvent Leoni, fatigu� de lire, s'y endormait sur
l'herbe fra�chement coup�e, et je quittais mon ouvrage pour contempler
ce beau visage, que la s�r�nit� du sommeil ennoblissait encore.
Durant ces journ�es si remplies, nous nous parlions peu, quoique presque
toujours ensemble; nous �changions quelques douces paroles, quelques
douces caresses, et nous nous encouragions mutuellement � notre oeuvre.
Mais, quand venait le soir, Leoni devenait indolent de corps et actif
d'esprit: c'�taient les heures o� il �tait le plus aimable, et il les
avait r�serv�es aux �panchements de notre tendresse. Doucement fatigu�
de sa journ�e, il se couchait sur la mousse � mes pieds, dans un endroit
d�licieux qui �tait aupr�s de la maison, sur le versant de la montagne.
De l� nous contemplions le splendide coucher du soleil, le d�clin
m�lancolique du jour, l'arriv�e grave et solennelle de la nuit. Nous
savions le moment du lever de toutes les �toiles et sur quelle cime
chacune d'elles devait commencer � briller � son tour. Leoni connaissait
parfaitement l'astronomie, mais Joanne poss�dait � sa mani�re cette
science des p�tres, et il donnait aux astres d'autres noms souvent plus
po�tiques et plus expressifs que les n�tres. Quand Leoni s'�tait amus�
de son p�dantisme rustique, il l'envoyait jouer sur son pipeau le Ranz
des vaches au bas de la montagne. Ces sons aigus avaient de loin une
douceur inconcevable. Leoni tombait dans une r�verie qui ressemblait �
l'extase; puis, quand la nuit �tait tout � fait venue, quand le silence
de la vall�e n'�tait plus troubl� que par le cri plaintif de quelque
oiseau des rochers, quand les lucioles s'allumaient dans l'herbe autour
de nous, et qu'un vent ti�de planait dans les sapins au-dessus de nos
t�tes, Leoni semblait sortir d'un r�ve ou s'�veiller � une autre vie.
Son �me s'embrasait, son �loquence passionn�e m'inondait le coeur;
il parlait aux cieux, au vent, aux �chos, � toute la nature avec
enthousiasme; il me prenait dans ses bras et m'accablait de caresses
d�lirantes; puis il pleurait d'amour sur mon sein, et, redevenu
plus calme, il m'adressait les paroles les plus suaves et les plus
enivrantes. Oh! comment ne l'aurais-je pas aim�, cet homme sans �gal,
dans ses bons et dans ses mauvais jours? Qu'il �tait aimable alors!
qu'il �tait beau! Comme le h�le allait bien � son m�le visage et
respectait son large front blanc sur des sourcils de jais! Comme il
savait aimer et comme il savait le dire! Comme il savait commander �
la vie et la rendre belle! Comment n'aurais-je pas pris en lui une
confiance aveugle? Comment ne me serais-je pas habitu�e � une soumission
illimit�e? Tout ce qu'il faisait, tout ce qu'il disait �tait bien, beau
et bon. Il �tait g�n�reux, sensible, d�licat, h�ro�que; il prenait
plaisir � soulager la mis�re ou les infirmit�s des pauvres qui venaient
frapper � notre porte. Un jour il se pr�cipita dans un torrent, au
risque de sa vie, pour sauver un jeune p�tre; une nuit il erra dans les
neiges au milieu des plus affreux dangers pour secourir des voyageurs
�gar�s qui avaient fait entendre des cris de d�tresse. Oh! comment,
comment, comment me serais-je m�fi�e de Leoni? comment aurais-je fait
pour craindre l'avenir? Ne me dites plus que je fus cr�dule et faible;
la plus virile des femmes e�t �t� subjugu�e � jamais par ces six mois
de son amour. Quant � moi, je le fus enti�rement, et le remords cruel
d'avoir abandonn� mes parents, l'id�e de leur douleur s'affaiblit peu
� peu et finit presque par s'effacer. Oh! qu'elle �tait grande, la
puissance de cet homme!
Juliette s'arr�ta et tomba dans une triste r�verie. Une horloge
lointaine sonna minuit. Je lui proposai d'aller se reposer.--Non,
dit-elle; si vous n'�tes pas las de m'entendre, je veux parler encore.
Je sens que j'ai entrepris une t�che bien p�nible pour ma pauvre �me, et
que quand j'aurai fini je ne sentirai plus rien, je ne me souviendrai
plus de rien pendant plusieurs jours. Je veux profiter de la force que
j'ai aujourd'hui.
--Oui, Juliette, tu as raison, lui dis-je. Arrache le fer de ton sein,
et tu seras mieux apr�s. Mais dis-moi, ma pauvre enfant, comment la
singuli�re conduite d'Henryet au bal et la l�che soumission de Leoni �
un regard de cet homme ne t'avaient-elles pas laiss� dans l'esprit un
doute, une crainte?
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