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Page 15
A mesure que nous avancions, Leoni reprenait la s�r�nit� de ses mani�res
et la tendresse de son langage. Soumise et encha�n�e � lui par une
passion aveugle j'�tais un instrument dont il faisait vibrer toutes les
cordes � son gr�. S'il �tait r�veur, je devenais m�lancolique; s'il
�tait gai, j'oubliais tous mes chagrins et tous mes remords pour sourire
� ses plaisanteries; s'il �tait passionn� j'oubliais la fatigue de mon
cerveau et l'�puisement des larmes, je retrouvais de la force pour
l'aimer et pour le lui dire.
VIII.
Nous arriv�mes � Gen�ve, o� nous ne rest�mes que le temps n�cessaire
pour nous reposer. Nous nous enfon��mes bient�t dans l'int�rieur de
la Suisse, et l� nous perd�mes toute inqui�tude d'�tre poursuivis et
d�couverts. Depuis notre d�part, Leoni n'aspirait qu'� gagner avec moi
une retraite agreste et paisible et � vivre d'amour et de po�sie dans un
�ternel t�te-�-t�te. Ce r�ve d�licieux se r�alisa. Nous trouv�mes dans
une des vall�es du lac Majeur un chalet des plus pittoresques dans une
situation ravissante. Pour tr�s-peu d'argent nous le f�mes arranger
commod�ment � l'int�rieur, et nous le pr�mes � loyer au commencement
d'avril. Nous y pass�mes six mois d'un bonheur enivrant, dont je
remercierai Dieu toute ma vie, quoiqu'il me les ait fait payer bien
cher. Nous �tions absolument seuls et loin de toute relation avec le
monde. Nous �tions servis par deux jeunes mari�s gros et r�jouis,
qui augmentaient notre contentement par le spectacle de celui qu'ils
go�taient. La femme faisait le m�nage et la cuisine, le mari menait au
p�turage une vache et deux ch�vres qui composaient tout notre troupeau.
Il tirait le lait et faisait le fromage. Nous nous levions de bonne
heure, et, lorsque le temps �tait beau, nous d�jeunions � quelques pas
de la maison, dans un joli verger dont les arbres, abandonn�s � la
direction de la nature, poussaient en tous sens des branches touffues,
moins riches en fruits qu'en fleurs et en feuillage. Nous allions
ensuite nous promener dans la vall�e ou nous gravissions les montagnes.
Nous pr�mes peu � peu l'habitude de faire de longues courses, et chaque
jour nous allions � la d�couverte de quelque site nouveau. Les pays de
montagnes ont cela de d�licieux qu'on peut les explorer longtemps avant
d'en conna�tre tous les secrets et toutes les beaut�s. Quand nous
entreprenions nos plus grandes excursions, Joanne, notre gai majordome,
nous suivait avec un panier de vivres, et rien n'�tait plus charmant que
nos festins sur l'herbe. Leoni n'�tait difficile que sur le choix de ce
qu'il appelait le r�fectoire. Enfin, quand nous avions trouv� � mi-c�te
d'une gorge un petit plateau par� d'une herbe fra�che, abrit� contre le
vent ou le soleil, avec un joli point de vue, un ruisseau tout aupr�s
embaum� de plantes aromatiques, il arrangeait lui-m�me le repas sur un
linge blanc �tendu � terre. Il envoyait Joanne cueillir des fraises et
plonger le vin dans l'eau froide du torrent. Il allumait un r�chaud �
l'esprit-de-vin et faisait cuire les oeufs frais. Par le m�me proc�d�,
apr�s la viande froide et les fruits, je lui pr�parais d'excellent caf�.
De cette mani�re nous avions un peu des jouissances de la civilisation
au milieu des beaut�s romantiques du d�sert.
Quand le temps �tait mauvais, ce qui arriva souvent au commencement du
printemps, nous allumions un grand feu pour pr�server de l'humidit�
notre habitation de sapin; nous nous entourions de paravents que Leoni
avait mont�s, clou�s et peints lui-m�me. Nous buvions du th�; et, tandis
qu'il fumait dans une longue pipe turque, je lui faisais la lecture.
Nous appelions cela nos journ�es flamandes: moins anim�es que les
autres, elles �taient peut-�tre plus douces encore. Leoni avait un
talent admirable pour arranger la vie, pour la rendre agr�able et
facile. D�s le matin il occupait l'activit� de son esprit � faire le
plan de la journ�e et � en ordonner les heures, et, quand ce plan �tait
fait, il venait me le soumettre. Je le trouvais toujours admirable, et
nous ne nous en �cartions plus. De cette mani�re l'ennui, qui poursuit
toujours les solitaires et jusqu'aux amants dans le t�te-�-t�te,
n'approchait jamais de nous. Leoni savait tout ce qu'il fallait �viter
et tout ce qu'il fallait observer pour maintenir la paix de l'�me et le
bien-�tre du corps. Il me le dictait avec sa tendresse adorable; et,
soumise � lui comme l'esclave � son ma�tre, je ne contrariais jamais un
seul de ses d�sirs. Ainsi il disait que l'�change des pens�es entre
deux �tres qui s'aiment est la plus douce des choses, mais qu'elle peut
devenir la pire de toutes si on en abuse. Il avait donc r�gl� les heures
et les lieux de nos entretiens. Tout le jour nous �tions occup�s �
travailler; je prenais soin du m�nage, je lui pr�parais des friandises
ou je plissais moi-m�me son linge. Il �tait extr�mement sensible � ces
petites recherches de luxe, et les trouvait doublement pr�cieuses au
fond de notre ermitage. De son c�t�, il pourvoyait � tous nos besoins et
rem�diait � toutes les incommodit�s de notre isolement. Il savait un peu
de tous les m�tiers: il faisait des meubles en menuiserie, il posait des
serrures, il �tablissait des cloisons en ch�ssis et en papier peint,
il emp�chait une chemin�e de fumer, il greffait un arbre � fruit, il
amenait un courant d'eau vive autour de la maison. Il �tait toujours
occup� de quelque chose d'utile, et il l'ex�cutait toujours bien. Quand
ces grands travaux-l� lui manquaient, il peignait l'aquarelle, composait
de charmants paysages avec les croquis que, dans nos promenades, nous
avions pris sur nos albums. Quelquefois il parcourait seul la vall�e
en composant des vers, et il revenait vite me les dire. Il me trouvait
souvent dans l'�table avec mon tablier plein d'herbes aromatiques, dont
les ch�vres sont friandes. Mes deux belles prot�g�es mangeaient sur mes
genoux. L'une �tait blanche et sans tache: elle s'appelait _Neige_; elle
avait l'air doux et m�lancolique. L'autre �tait jaune comme un chamois,
avec la barbe et les jambes noires. Elle �tait toute jeune, sa
physionomie �tait mutine et sauvage: nous l'appelions _Daine_. La
vache s'appelait _P�querette_. Elle �tait rousse et ray�e de noir
transversalement, comme un tigre. Elle passait sa t�te sur mon �paule;
et, quand Leoni me trouvait ainsi, il m'appelait sa Vierge � la cr�che.
Il me jetait mon album et me dictait ses vers, qui m'�taient presque
toujours adress�s. C'�taient des hymnes d'amour et de bonheur qui me
semblaient sublimes, et qui devaient l'�tre. Je pleurais sans rien dire
en les �crivant; et quand j'avais fini: �Eh bien! me disait Leoni, tu
les trouves mauvais?� Je relevais vers lui mon visage baign� de larmes:
il riait et m'embrassait avec transport.
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