Leone Leoni by George Sand


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Page 14

Je dansai, et je ne sais comment je ne tombai pas morte � la fin de la
contredanse, tant j'avais fait d'efforts sur moi-m�me. Quand je revins
� ma place, ma m�re �tait d�j� partie pour la valse. Elle m'avait vue
danser, elle �tait tranquille; elle recommen�ait � s'amuser pour son
compte. Ma tante, au lieu de me questionner sur mon absence, me gronda.
J'aimais mieux cela, je n'avais pas besoin de r�pondre et de mentir. Une
de mes amies me demanda d'un air effray� ce que j'avais et pourquoi
ma figure �tait si boulevers�e. Je r�pondis que je venais d'avoir un
violent acc�s de toux.--Il faut te reposer, me dit-elle, et ne plus
danser.

Mais j'�tais d�cid�e � �viter le regard de ma m�re; je craignais son
inqui�tude, sa tendresse et mes remords. Je vis son mouchoir, qu'elle
avait laiss� sur la banquette, je le pris, je l'approchai de mon visage,
et m'en couvrant la bouche, je le d�vorai de baisers convulsifs. Ma
compagne crut que je toussais encore; je feignis de tousser en effet.
Je ne savais comment remplir cette heure fatale dont la moiti� �tait
� peine �coul�e. Ma tante remarqua que j'�tais fort enrhum�e, et dit
qu'elle allait engager ma m�re � se retirer. Je fus �pouvant�e de cette
menace, et j'acceptai vite une nouvelle invitation. Quand je fus au
milieu des danseurs, je m'aper�us que j'avais accept� une valse. Comme
presque toutes les jeunes personnes, je ne valsais jamais; mais, en
reconnaissant dans celui qui d�j� me tenait dans ses bras la sinistre
figure de Henryet, la frayeur m'emp�cha de refuser. Il m'entra�na, et ce
mouvement rapide acheva de troubler mon cerveau. Je me demandais si tout
ce qui se passait autour de moi n'�tait pas une vision; si je n'�tais
pas plut�t couch�e dans un lit, avec la fi�vre, que lanc�e comme une
folle au milieu d'une valse avec un �tre qui me faisait horreur. Et puis
je me rappelai que Leoni allait venir me chercher. Je regardai ma
m�re, qui, l�g�re et joyeuse, semblait voler au travers du cercle des
valseurs. Je me dis que cela �tait impossible, que je ne pouvais pas
quitter ma m�re ainsi. Je m'aper�us que Henryet me pressait dans ses
bras, et que ses yeux d�voraient mon visage inclin� vers le sien. Je
faillis crier et m'enfuir. Je me souvins des paroles de Leoni: _Mon sort
est encore dans ses mains pendant une heure_. Je me r�signai. Nous nous
arr�t�mes un instant. Il me parla. Je n'entendis pas et je r�pondis
en souriant avec �garement. Alors je sentis le fr�lement d'une �toffe
contre mes bras et mes �paules nues. Je n'eus pas besoin de me
retourner, je reconnus la respiration � peine saisissable de Leoni. Je
demandai � revenir � ma place. Au bout d'un instant, Leoni, en domino
noir, vint m'offrir la main. Je le suivis. Nous travers�mes la foule,
nous �chapp�mes par je ne sais quel miracle au regard jaloux d'Henryet
et � celui de ma m�re qui me cherchait de nouveau. L'audace avec
laquelle je passai au milieu de cinq cents t�moins, pour m'enfuir avec
Leoni, emp�cha qu'aucun s'en aper�ut. Nous travers�mes la cohue de
l'antichambre. Quelques personnes qui prenaient leurs manteaux nous
reconnurent et s'�tonn�rent de me voir descendre l'escalier sans ma
m�re, mais ces personnes s'en allaient aussi et ne devaient point
colporter leur remarque dans le bal. Arriv� dans la cour, Leoni se
pr�cipita en m'entra�nant vers une porte lat�rale par laquelle ne
passaient point les voitures. Nous f�mes en courant quelques pas dans
une rue sombre; puis une chaise de poste s'ouvrit, Leoni m'y porta,
m'enveloppa dans un vaste manteau fourr�, m'enfon�a un bonnet de voyage
sur la t�te, et en un clin d'oeil la maison illumin�e de M. Delpech, la
rue et la ville disparurent derri�re nous.

Nous cour�mes vingt-quatre heures sans faire un mouvement pour sortir du
la voiture. A chaque relais Leoni soulevait un peu le ch�ssis, passait
le bras en dehors, jetait aux postillons le quadruple de leur salaire,
retirait pr�cipitamment son bras et refermait la jalousie. Je ne pensais
gu�re � me plaindre de la fatigue ou de la faim; j'avais les dents
serr�es, les nerfs contract�s; je ne pouvais verser une larme ni dire un
mot. Leoni semblait plus occup� de la crainte d'�tre poursuivi que de ma
souffrance et de ma douleur. Nous nous arr�t�mes aupr�s d'un ch�teau, �
peu de distance de la route. Nous sonn�mes � la porte d'un jardin. Un
domestique vint apr�s s'�tre fait longtemps attendre. Il �tait deux
heures du matin. Il arriva enfin en grondant et approcha sa lanterne du
visage de Leoni; � peine l'eut-il reconnu qu'il se confondit en excuses
et nous conduisit � l'habitation. Elle me sembla d�serte et mal tenue.
N�anmoins on m'ouvrit une chambre assez convenable. En un instant
on alluma du feu, on me pr�para un lit, et une femme vint pour me
d�shabiller. Je tombai dans une sorte d'imb�cillit�. La chaleur du foyer
me ranima un peu, et je m'aper�us que j'�tais en robe de nuit et les
cheveux �pars aupr�s de Leoni; mais il n'y faisait pas attention; il
�tait occup� � serrer dans un coffre le riche costume, les perles et les
diamants dont nous �tions encore couverts un instant auparavant. Ces
joyaux dont Leoni �tait par� appartenaient pour la plupart � mon p�re.
Ma m�re, voulant que la richesse de son costume ne f�t pas au-dessous du
n�tre, les avait tir�s de la boutique et les lui avait pr�t�s sans rien
dire. Quand je vis toutes ces richesses entass�es dans un coffre, j'eus
une honte mortelle de l'esp�ce de vol que nous avions commis, et je
remerciai Leoni de ce qu'il pensait � les renvoyer � mon p�re. Je ne
sais ce qu'il me r�pondit; il me dit ensuite que j'avais quatre heures
� dormir, qu'il me suppliait d'en profiter sans inqui�tude et sans
douleur. Il baisa mes pieds nus et se retira. Je n'eus jamais le courage
d'aller jusqu'� mon lit; je m'endormis aupr�s du feu sur mon fauteuil. A
six heures du matin on vint m'�veiller; on m'apporta du chocolat et des
habits d'homme. Je d�jeunai et je m'habillai avec r�signation. Leoni
vint me chercher, et nous quitt�mes avant le jour cette demeure
myst�rieuse, dont je n'ai jamais connu ni le nom ni la situation exacte,
ni le propri�taire, non plus que beaucoup d'autres g�tes, tant�t riches,
tant�t mis�rables, qui, dans le cours de nos voyages, s'ouvrirent pour
nous � toute heure et en tout pays au seul nom de Leoni.

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Books | Photos | Paul Mutton | Sat 20th Dec 2025, 6:24