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Page 13
--Quoi! y pensez-vous, Leoni? Sommes-nous mari�s? lui dis-je.
--Nous ne pouvons pas nous marier, r�pondit-il d'une voix forte et
br�ve.
Je restai atterr�e.--Et si tu ne veux pas m'aimer, si tu ne veux pas
fuir avec moi, continua-t-il, je n'ai plus qu'un parti � prendre: c'est
de me tuer.
Il pronon�a ces mots d'un ton si r�solu, que je frissonnai de la t�te
aux pieds.--Mais que nous arrive-t-il donc? lui dis-je; est-ce un r�ve?
Qui peut nous emp�cher de nous marier, quand tout est d�cid�, quand vous
avez la parole de mon p�re?
--Un mot de l'homme qui est amoureux de vous, et qui veut vous emp�cher
d'�tre � moi.
--Je le hais et je le m�prise! m'�criai-je. O� est-il? Je veux lui
faire sentir la honte d'une si l�che poursuite et d'une si odieuse
vengeance... Mais que peut-il contre toi, Leoni? n'es-tu pas tellement
au-dessus de ses attaques qu'un mot de toi ne le r�duise en poussi�re?
Ta vertu et ta force ne sont-elles pas in�branlables et pures comme
l'or? O ciel! je devine: tu es ruin�! les papiers que tu attends
n'apporteront que de mauvaises nouvelles. Henryet le sait, il te menace
d'avertir mes parents. Sa conduite est inf�me; mais ne crains rien, mes
parents sont bons, ils m'adorent; je me jetterai � leurs pieds, je les
menacerai de me faire religieuse; tu les supplieras encore comme hier,
et tu les vaincras, sois-en s�r. Ne suis-je pas assez riche pour deux?
Mon p�re ne voudra pas me condamner � mourir de douleur; ma m�re
interc�dera pour moi... A nous trois nous aurons plus de force que ma
tante pour le convaincre. Va, ne t'afflige plus, Leoni, cela ne peut pas
nous s�parer, c'est impossible. Si mes parents �taient sordides � ce
point, c'est alors que je fuirais avec toi...
--Fuyons donc tout de suite, me dit Leoni d'un air sombre; car ils
seront inflexibles. Il y a autre chose encore que ma ruine, quelque
chose d'infernal que je ne peux pus te dire. Es-tu bonne, es-tu
g�n�reuse? Es-tu la femme que j'ai r�v�e et que j'ai cru trouver en toi?
Es-tu capable d'h�ro�sme? Comprends-tu les grandes choses, les immenses
d�vouements? Voyons, voyons! Juliette, es-tu une femme aimable et jolie
que je vais quitter avec regret, ou es-tu un ange que Dieu m'a donn�
pour me sauver du d�sespoir? Sens-tu ce qu'il y a de beau, de sublime �
se sacrifier pour ce qu'on aime? Ton �me n'est-elle pas �mue � l'id�e
de tenir dans tes mains la vie et la destin�e d'un homme, et de t'y
consacrer tout enti�re! Ah! que ne pouvons-nous changer de r�le! que
ne suis-je � ta place! Avec quel bonheur, avec quel transport je
t'immolerais toutes les affections, tous les devoirs!...
--Assez, Leoni, lui r�pondis-je; vous m'�garez par vos discours. Gr�ce,
gr�ce pour ma pauvre m�re, pour mon pauvre p�re, pour mon honneur! Vous
voulez me perdre...
--Ah! tu penses � tout cela! s'�cria t-il, et pas � moi! Tu poses la
douleur de tes parents, et tu ne daignes pas mettre la mienne dans la
balance! Tu ne m'aimes pas...
Je cachai mon visage dans mes mains, j'invoquai Dieu, j'�coutai les
sanglots de Leoni; je crus que j'allais devenir folle.
--Eh bien! tu le veux, lui dis-je, et tu le peux; parle, dis-moi tout ce
que tu voudras, il faudra bien que je t'ob�isse; n'as-tu pas ma volont�
et mon �me � ta disposition?
--Nous avons peu d'instants � perdre, r�pondit Leoni. Il faut que dans
une heure nous soyons partis, ou la fuite deviendra impossible. Il y a
un oeil de vautour qui plane sur nous; mais, si tu le veux, nous saurons
le tromper. Le veux-tu? le veux-tu?
Il me serra dans ses bras avec d�lire. Des cris de douleur s'�chappaient
de sa poitrine. Je r�pondis oui, sans savoir ce que je disais.--Eh bien!
retourne vite au bal, me dit-il, ne montre pas d'agitation. Si on te
questionne, dit que tue as �t� un peu indispos�e; mais ne te laisse
pas emmener. Danse s'il le faut. Surtout, si Henryet te parle, sois
prudente, ne l'irrite pas; songe que pendant une heure encore mon sort
est dans ses mains. Dans une heure je reviendrai sous un domino. J'aurai
ce bout de ruban au capuchon. Tu le reconna�tras, n'est-ce pas? Tu me
suivras, et surtout tu seras calme, impassible. Il le faut, songe � tout
cela: t'en sens-tu la force?
Je me levai et je pressai ma poitrine bris�e dans mes deux mains.
J'avais la gorge en feu, mes joues �taient br�l�es par la fi�vre,
j'�tais comme ivre.--Allons, allons, me dit-il. Il me poussa dans le bal
et disparut. Ma m�re me cherchait. Je vis de loin son anxi�t�, et pour
�viter ses questions, j'acceptai pr�cipitamment une invitation � danser.
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