L'influence d'un livre by Philippe Aubert de Gaspé


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Page 14

Un mot sur ce jeune homme--St-C�ran �tait descendu d'une bonne
famille et avait re�u une excellente �ducation qu'il avait ensuite
perfectionn�e par la lecture. Sa disposition, naturellement
m�lancolique, l'�loignait du fracas ordinaire du monde; aussi
avait-il pass� la plus grande partie de sa jeunesse dans une belle
retraite, � la campagne, o� il se livrait � son go�t passionn� pour
l'�tude. C'est l� que dans une de ses longues promenades, il avait
aper�u Am�lie, jeune fille de quinze ans, au sourire triste et
pensif. Am�lie �tait le type d'une belle cr�ole. Ses longs cheveux
noirs descendaient jusqu'� ses pieds; des prunelles, couleur d'�b�ne,
voilaient son oeil brun et languissant et donnaient � son visage p�le
une expression ang�lique. Sa taille pouvait rivaliser avec celle des
plus belles femmes du midi... Ils s'�taient aim�s en se voyant et
avaient senti toute la v�rit� de cette belle pens�e d'un auteur
moderne: �Nous �tions n�s l'un pour l'autre et, oublieux du temps qui
fuit, nous nous �lancions, gaiement, dans la vie, avec nos joies
na�ves et nos d�cevantes illusions.� Mais la volont� d'un p�re venait
d�truire ce r�ve de bonheur; Am�lie �tait la fille d'Amand, et il
avait jur� qu'elle n'appartiendrait jamais � St-C�ran. Peut-�tre que
mon lecteur serait d�sireux de savoir d'o� venait l'antipathie
d'Amand. Notre h�ros avait fait tout son possible pour l'engager dans
quelques myst�res de son art et le jeune homme s'y �tait obstin�ment
refus�; ensuite il lui avait emprunt� quelques livres qu'il avait
enti�rement g�t�s: ce qui avait d�cid� ce dernier � lui fermer sa
biblioth�que. Depuis ce temps, ils ne se parlaient plus et Amand
avait d�fendu � sa fille de communiquer avec lui. C'est en partie ce
qui avait d�cid� St-C�ran � voyager dans le Haut-Canada, d'o� il
revenait lorsqu'il rencontra Guillemette chez Lepage.

Peut-�tre Amand avait-il une autre raison de refuser sa fille au
jeune homme; St-C�ran n'�tait pas riche et avait souvent refus� de
lui pr�ter de l'argent. Les jours de bonheur �taient pass�s et la
joie faisait place � la tristesse, et au malheur. Qui pourrait s'en
plaindre? Qui pourrait esp�rer de trouver, au milieu d'une soci�t�
d'hommes corrompus, la v�rit�, la paix et l'harmonie, seuls principes
qui peuvent conduire � la vertu? Et sans la vertu, plus d'amour entre
les hommes.

St-C�ran l'avait �tudi�e, cette soci�t� tant vant�e, et il en
connaissait les fondements, qui sont: l'amour-propre, la vanit�, le
d�sir de plaire, se croire admir� de tous, prendre le sourire du
m�pris pour celui de l'admiration, se tourmenter toute une nuit,
s'ennuyer et se dire � soi-m�me:

--Ah! je me suis bien amus� ce soir.

Pendant une belle nuit du mois de septembre, St-C�ran, seul, sur une
belle anse de sable qui s'avan�ait dans le fleuve, �tait plong� dans
une r�flexion profonde. Tout � coup il se prit � sourire am�rement
et se dit tout haut.--Cela est vrai; mais je poss�dais cette
mal�diction de l'esp�ce humaine:--l'�nergie! C'est une maladie qui
tue: il fallait la d�truire. Je n'�tais pas n� pour exister, j'�tais
n� pour vivre; ne pouvant aimer je m�prisai; mais j'avais toujours ce
souvenir de jeune fille l�.--Je fus longtemps malheureux. Apr�s
avoir parcouru toutes les phases de la vie je m'arr�tai pr�s du
torrent de la d�bauche. Un regard sur l'ab�me fut suffisant. Je
maudis l'existence et je me pr�cipitai. Mon premier pas fut vers les
femmes; mais des femmes qui m�ritent � peine ce nom. Sans toi, mon
Am�lie, je croirais que la femme douce, aimante ne se trouve que dans
nos livres. En effet que sont-elles ces femmes de nos jours? Un
compos� de passion dont la faiblesse, principe inh�rent de leur sexe,
�teint le feu naturel et le change en une flamme qui n'est qu'une
d�ception et une moquerie du beau id�al que nous cherchons dans tout
ce qui nous environne. Mues par le premier principe de leur
�ducation, elles cherchent � plaire, � causer une impression, et
elles croient y parvenir par un air affect�, un ruban ou une r�ponse
impertinente. Est-ce que toutes les femmes n'ont pas ces avantages,
et pourquoi plaisent-elles si peu? jeune homme, qui fais ton premier
pas dans ce monde que tu idol�tres, tu me r�pondras sans doute
qu'elles plaisent.--Mais non; semblables aux acteurs qui paraissent
un moment sur un th��tre, elles amusent et elles trompent. Va les
voir ces visions si parfaites dans une belle soir�e, va les voir le
lendemain, p�les, d�faites, attendant l'heure de reprendre leur
visage riant en m�disant sur tout ce qui les environna la nuit
pr�c�dente, et faisant rejailli leur mauvaise humeur sur tout ce qui
les approche. Le hasard a voulu que quelques-unes, douces, aimantes,
vrais m�t�ores dans la cr�ation, parussent parmi nous. Dans leur
enfance, c'�tait un plaisir de les entendre, de les voir, de les
aimer: elles �taient pures, na�ves et riantes: mais la soci�t� les a
bient�t fl�tries. Elles ont couvert d'un voile leur �me pure; leur
na�vet� s'est chang�e en d�ception, leur sourire est devenu trompeur:
suivant les id�es d'une m�re exp�riment�e, elles sont devenues
marchandes de sentiment, elles ont appris � les prodiguer � ceux qui
ont de l'or: on leur a dit que c'�tait le bonheur. Loin d'entourer
leur enfance d'id�es riantes, on a tapiss� leur berceau de peintures
de famine. Avant qu'elles connussent l'amour, on leur a parl� de
femmes malheureuses, entour�es des enfants de la mis�re, baptis�s
dans les larmes:

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Books | Photos | Paul Mutton | Fri 19th Dec 2025, 10:21