Teverino by George Sand


Main
- books.jibble.org



My Books
- IRC Hacks

Misc. Articles
- Meaning of Jibble
- M4 Su Doku
- Computer Scrapbooking
- Setting up Java
- Bootable Java
- Cookies in Java
- Dynamic Graphs
- Social Shakespeare

External Links
- Paul Mutton
- Jibble Photo Gallery
- Jibble Forums
- Google Landmarks
- Jibble Shop
- Free Books
- Intershot Ltd

books.jibble.org

Previous Page | Next Page

Page 32

�J'avais dix ans, j'�tais beau comme Cupidon. Un peintre estim� qui
m'avait remarqu� dans la rue me prit chez lui pour lui servir de mod�le,
et fit, d'apr�s moi, un saint Jean-Baptiste enfant, puis un Giotto, puis
un J�sus enseignant dans le temple; et, quand il eut assez de ma figure,
il me renvoya avec vingt pi�ces d'or, en me recommandant de me v�tir un
peu mieux, si je voulais me pr�senter quelque part pour gagner ma vie.
Je sentais d�j� na�tre en moi le go�t du luxe; n�anmoins je compris que
ce n'�tait pas le moment de me satisfaire de cette fa�on. Je courus chez
ma m�re d'adoption, je lui donnai tout ce que j'avais re�u, et, comme
touch�e de mon bon coeur, elle voulait me retenir chez elle; je lui
d�clarai que j'avais pris go�t � l'ind�pendance, et que je voulais �tre
libre d�sormais de choisir ma profession.

�Cette profession fut bient�t trouv�e, c'est-�-dire qu'il s'en offrit
cent, et que je n'en pris aucune exclusivement. J'avais l'amour du
changement, la passion de la libert�, une curiosit� effr�n�e pour tout
ce qui me semblait noble et beau. J'avais d�j� une belle voix, ma figure
et mon esprit se recommandaient d'eux-m�mes. S�r de charmer les yeux et
les oreilles, je n'avais point de souci � prendre et ne songeais qu'�
cultiver mes facult�s naturelles. Tour � tour mod�le, batelier, jockey,
enfant de choeur, figurant de th��tre, chanteur des rues, marchand de
coquillages, gar�on de caf�, cic�rone... Ah! Monsieur, ce dernier emploi
fut, avec celui de mod�le, celui qui profita le plus, sinon � ma bourse,
du moins � mon intelligence. La conversation des artistes et l'�tude
journali�re des chefs-d'oeuvre de l'art, d�velopp�rent tellement mes
id�es, que bient�t je me sentis sup�rieur, par mes conceptions et
par mes jugements, aux sculpteurs et aux peintres qui s'essayaient �
reproduire ma figure, aux voyageurs de toutes les nations que j'initiais
� la connaissance des merveilles de Rome. En m'apercevant de l'ignorance
ou de la pauvret� d'esprit de tous ceux � qui j'avais affaire, je
sentis, de plus en plus, le besoin d'�tre un esprit sup�rieur. Je
n'aimais point la lecture. S'instruire dans les livres est un travail
trop froid et trop long pour la rapidit� de ma compr�hension. Je
m'appliquai donc � approcher le plus possible des hommes vraiment
capables, et sacrifiant presque toujours mes int�r�ts � ce but, je
m'instruisis de toutes choses en �coutant parler. Batelier ou jockey,
j'observai et je connus les habitudes et les moeurs des gens du monde;
enfant de choeur et choriste d'op�ra, je m'initiai au sentiment de la
musique et � l'art du th��tre. J'ai surpris les secrets du pr�tre et
ceux du com�dien, qui se ressemblent fort. Chanteur de carrefour,
montreur de marionnettes ou marchand de brimborions, j'�tudiai toutes
les classes, et connus les impressions du public et leurs causes. Malin
et p�n�trant, audacieux et modeste, habile � persuader et d�daigneux de
tromper, j'eus des amis partout et des protecteurs nulle part. Accepter
la protection d'un individu, c'est se mettre dans sa d�pendance; toute
esp�ce de joug m'est odieux. Dou� d'un talent d'imitation sans exemple,
certain d'amuser, d'attendrir, d'�tonner ou d'int�resser quiconque je
voudrais, il n'y avait pas une heure dans ma vie o� je ne pusse compter
sur mes ressources infinies.

�A mesure que je devenais un homme, loin de diminuer, ces ressources
d�cuplaient. Quand vint l'�ge de plaire aux femmes... j'eus bien des
succ�s, Monsieur, et je n'en abusai point. La m�me royale indolence qui
m'avait emp�ch� de prodiguer les perfections de mon �tre dans l'emploi
de marchand de poissons, et qui n'�tait au fond qu'un respect instinctif
pour la conservation de ma puissance, m'accompagna dans mes relations
avec le beau sexe. Judicieux et discret, je ne m'attachai pas longtemps
au vice, je ne me d�vouai point � l'�go�sme, e voulus vivre par le
coeur, afin de rester complet et invincible dans ma fiert�. Je fus
mis�ricordieux sans effort; on me trahit beaucoup, on ne me trompa
gu�re. Je supplantai beaucoup de rivaux et ne les avilis point. Je
formai beaucoup de liens et sus les rompre sans d�pit et sans amertume.
Tenez, Monsieur, j'ai ici le portrait d'une princesse qui m'a tant
tourment� de sa jalousie que j'ai �t� forc� de l'abandonner; mais je
garde son image en souvenir des plaisirs qu'elle m'a donn�s; je ne la
montre � personne, et je ne vends pas les diamants, quoique je vive de
pain noir et de lait de ch�vre depuis huit jours.

--Mais quelle est donc la cause de votre mis�re pr�sente? demanda
L�once.

--�L'amour des voyages d'une part, et, de l'autre, l'amour, le pur
amour, _Signor mio!_ A peine avais-je gagn� quelque argent que, quittant
l'emploi qui me l'avait procur�, vu que la jouissance que j'en avais
retir�e �tait �puis�e pour moi, je partais, et je voyageais � travers
l'Italie. J'ai parcouru toutes ses provinces, me procurant les douceurs
de l'aisance quand je le pouvais, me soumettant aux privations les plus
philosophiques quand ma bourse �tait � sec; souvent m�me restant, avec
une sorte de volupt�, dans cet �tat de d�n�ment qui me faisait sentir le
prix des biens que j'avais prodigu�s, et attendant avec orgueil que le
d�sir me rev�nt assez vif pour secouer ma d�licieuse apathie. Tant�t je
d�daignais de me tirer d'affaire, sentant que mes inspirations d'artiste
n'�taient pas arriv�es � leur apog�e, et pr�f�rant je�ner que de mal
d�clamer ou de mal chanter. C'est l� une grande jouissance, Monsieur,
que de sentir son g�nie captiv� par le respect qu'on lui porte! D'autres
fois, l'amour me dominait, et je me plaisais � prodiguer mon or � mon
idole, heureux encore plus et enivr� au del� de toute expression,
lorsque, ruin�, je la voyais s'attacher � ma mis�re, et me ch�rir
d'autant plus que je n'avais plus rien � lui donner. Oh! oui, c'est
alors que j'ai laiss� passer bien des jours avant de remettre �
l'�preuve de telles affections, en remontant sur la roue de fortune; car
les nobles coeurs ne s'attachent irr�sistiblement qu'aux malheureux.�

Previous Page | Next Page


Books | Photos | Paul Mutton | Sun 21st Dec 2025, 13:28