Teverino by George Sand


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Page 27

Sa mauvaise humeur se dissipa bient�t � l'aspect des beaut�s de la
nature. Il avait tourn� plusieurs rochers, et il se trouvait au bord
d'un lac microscopique, ou plut�t d'une flaque d'eau cristalline enfouie
et comme cach�e dans un entonnoir de granit. Cette eau, profonde et
brillante comme le ciel, dont elle refl�tait l'azur embras� et les
nuages d'or, offrait l'image du bonheur dans le repos. L�once s'assit au
rivage dans une anfractuosit� du roc, qui formait des degr�s naturels
comme pour inviter le voyageur � descendre au bord de l'onde tranquille.
Il regarda longtemps les insectes au corsage de turquoise et de rubis
qui effleuraient les plantes fontinales; puis il vit passer, dans le
miroir du lac, une bande de ramiers qui traversait les airs et qui
disparut comme une vision, avec la rapidit� de la pens�e. L�once se dit
que les joies de la vie passaient aussi rapides, aussi insaisissables,
et que, comme cette r�flection de l'image voyageuse, elles n'�taient que
des ombres. Puis il se trouva ridicule de faire ainsi des m�taphores
germaniques, et envia la tranquillit� d'�me du cur�, qui, dans ce beau
lac, n'e�t vu qu'un beau r�servoir de truites.

Un l�ger bruit se fit entendre au-dessus de lui. Un instant il crut que
Sabina venait le rejoindre; mais le battement de son coeur s'apaisa bien
vite � la vue du personnage qui descendait les degr�s du roc, dont il
occupait le dernier degr�.

C'�tait un grand gaillard, plus que pauvrement v�tu, qui portait au bout
d'un b�ton pass� sur son �paule, un mince paquet serr� dans un mouchoir
rouge et bleu. Ses haillons, ses longs cheveux tombant sur un visage
p�le et fortement dessin�, son �paisse barbe noire comme de l'encre, sa
d�marche nonchalante, et ce je ne sais quoi de railleur qui caract�rise
le regard du vagabond lorsqu'il rencontre le riche seul et face � face,
tout lui donnait l'aspect d'un franc vaurien.

L�once pensa qu'il �tait dans un endroit tr�s-d�sert et que le quidam
avait sur lui tout l'avantage de la position, car le sentier �tait trop
�troit pour deux, et il ne fallait pas se le disputer longtemps pour que
le lac re�t dans son onde muette et myst�rieuse celui qui n'aurait pas
les meilleurs poings, et la meilleure place pour combattre.

Dans cette �ventualit�, qui ne troubla pourtant pas beaucoup L�once, il
prit un air d'indiff�rence et attendit la rencontre de l'inconnu dans un
calme philosophique. Cependant il put compter avec une l�g�re impatience
le nombre de pas qui retentit sur le rocher, jusqu'� ce que le vagabond
e�t atteint le dernier degr� et se trouv�t juste � ses c�t�s.

--Pardon, Monsieur, si je vous d�range, dit alors l'inconnu d'une voix
sonore et avec un accent m�ridional tr�s-prononc�; mais si c'�tait un
effet de votre courtoisie, Votre Seigneurie se rangerait un peu pour me
laisser boire.

--Rien de plus juste, r�pondit L�once en le laissant passer et en
remontant un degr�, de mani�re � se trouver imm�diatement derri�re lui.

L'inconnu �ta son chapeau de paille d�chir�, et s'agenouillant sur le
roc, il plongea avidement dans l'eau sa sauvage barbe et la moiti� de
son visage, puis on l'entendit humer comme un cheval, ce qui donna �
L�once l'envie fac�tieuse de siffler en cadence comme on fait pour
occuper ces animaux impatients et ombrageux pendant qu'ils se
d�salt�rent.

Mais il s'abstint de cette plaisanterie, et il envia la confiance
superbe avec laquelle ce mis�rable se pla�ait ainsi sous ses pieds,
la t�te en avant, le corps abandonn�, dans un t�te-�-t�te qui e�t pu
devenir funeste � l'un des deux en cas de m�sintelligence. �Voil� le
seul bonheur du pauvre, pensa encore L�once; il a la s�curit� en de
semblables rencontres. Nous voici deux hommes, peut-�tre d'�gale force:
l'un ne saurait pourtant boire sous l'oeil de l'autre sans regarder un
peu derri�re lui, et celui qui peut se d�salt�rer gratis avec cette
volupt�, ce n'est pas le riche.�

Quand le vagabond eut assez bu, il redressa son corps, et, restant assis
sur ses talons:--Voil�, dit-il, de l'eau bien ti�de � boire, et qui doit
d�salt�rer en entrant par les pores plus qu'en passant par le gosier.
Qu'en pense Votre Seigneurie?

--Auriez-vous la fantaisie de prendre un bain? dit L�once, incertain si
ce n'�tait pas une menace.

--Oui, Monsieur, j'ai cette fantaisie, r�pondit l'autre; et il commen�a
tranquillement � se d�shabiller, ce qui ne prit gu�re de temps, car il
n'�tait point surcharg� de toilette, et � peine avait-il sur lui une
seule boutonni�re qui ne f�t rompue.

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Books | Photos | Paul Mutton | Sun 12th Jan 2025, 22:14