Teverino by George Sand


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Page 25

--Vous croyez prouver un grand coeur et un grand esprit en disant ces
choses-l�? C'est la mode, une mode recherch�e, et qu'il est donn� �
peu d'hommes du monde de porter avec go�t. Vous n'y commettrez jamais
d'exc�s, parce qu'au fond du coeur, vous n'�tes pas moins aristocrate
que moi; je vous d�fierais bien d'�tre s�rieusement �pris de la fille
aux oiseaux, malgr� vos th�ories sur la paternit� directe de Dieu �
l'esclave. Mais, laissez-moi arriver � mon parall�le, et vous verrez que
vous n'avez pas su garder votre emphatique _incognito_ avec moi. Jaloux
d'�tre admir�, vous n'avez point prodigu� votre jeunesse, et vous avez
fort bien compris qu'il n'y a point d'id�al pour la femme intelligente
qui poss�de et conna�t un homme � toutes les heures de la vie. Aussi,
n'avez-vous point aim�, et avez-vous toujours agi de mani�re � frapper
l'esprit de ce sexe curieux, sans lui permettre de s'emparer de votre
volont�. Vous avez fait des passions, je le sais, et vous n'en avez
point �prouv�. Ce qui nous distingue l'un de l'autre, et ce qui fait que
mon orgueil a plus de m�rite que le v�tre, ce sont les privil�ges de
votre sexe. Vous n'avez point sacrifi� les jouissances vulgaires au
culte de la dignit�. Vos mod�les ont �t� des mod�les de choix, des
filles souverainement belles, et assez jeunes pour que vous n'eussiez
point � rougir devant trop de gens, d'en faire vos ma�tresses; ces
divines filles du peuple, vous vous �tes persuad� que vous les aimiez,
et, pour piquer l'amour-propre des femmes du monde, vous avez affect�
de dire que la beaut� physique entra�nait la beaut� morale, que la
simplicit� de ces esprits incultes �tait le temple de l'amour vrai, que
sais-je? v�rit�s peut-�tre, mais auxquelles vous n'avez jamais cru
en les proclamant; car, je ne sache pas qu'aucune de ces divinit�s
pl�b�iennes vous ait pleinement captiv� ou fix� longtemps. Statuaire,
vous n'avez vu en elles que des statues; et, quant aux femmes de votre
caste, vous n'avez jamais recherch� sinc�rement celles qui avaient de
l'esprit. C'est avec celles-l� que vous jouez pr�cis�ment le r�le
que vous m'attribuez, posant devant elles avec un art et une po�sie
admirables les passions byroniennes, mais ne laissant approcher personne
assez pr�s de votre coeur pour qu'on y put saisir le ver de la vanit�
qui le Ronge.

[Illustration: Sabina, gracieusement �tendue.]

L�once garda longtemps le silence apr�s que Sabina eut fini de parler.
Il paraissait profond�ment abattu, et cette tristesse, qui ne se
raidissait pas sous le fouet de la critique, le rendit tr�s-sup�rieur
en cet instant � la femme vindicative qui le flagellait. Sabina s'en
aper�ut et comprit ce qu'il y a de plus m�le dans l'esprit de l'homme,
ce penchant ou cette soumission irr�sistible � la v�rit�, que
l'�ducation et les habitudes de la femme s'appliquent trop
victorieusement � combattre. Elle eut des remords de son emportement,
car elle vit que L�once se reprochait le sien et sondait son propre
coeur avec effroi. Elle eut envie de le consoler du mal qu'elle venait
de lui faire, puis elle eut peur que sa m�ditation ne cach�t quelque
pens�e de haine profonde et de vengeance raffin�e. Cette crainte la
frappa au coeur; car, aussi bien que L�once, elle valait mieux que son
portrait, et les sources de l'affection n'�taient point taries en
elle. Elle essaya vainement de retenir ses larmes; L�once entendit des
sanglots s'�chapper de sa poitrine.

--Pourquoi pleurez-vous'? lui demanda-t-il en s'agenouillant � ses pieds
et en prenant sa main dans les siennes.

--Je pleure notre amiti� perdue, r�pondit-elle en se penchant vers lui
et en laissant tomber quelques larmes sur ses beaux cheveux. Nous nous
sommes mortellement bless�s, L�once; nous ne nous aimons plus. Mais
puisque c'en est fait, et que nous n'avons plus � craindre que l'amour
nous g�te le pass�, laissez-moi pleurer sur ce pass� si pur et si beau!
laissez-moi vous dire ce qu'apparemment vous ne compreniez pas, puisque
vous avez pu, de gaiet� de coeur, entamer cette lutte meurtri�re. Je
vous aimais d'une douce et v�ritable amiti�; je me reposais sur votre
coeur comme sur celui d'un fr�re; j'esp�rais trouver en vous protection,
et conseil dans tout le cours de ma vie. Vos d�fauts me semblaient
petits et vos qualit�s grandes. Maintenant, adieu, L�once.
Reconduisez-moi chez mon mari. Vous aviez bien raison de m'annoncer
pour cette journ�e des �motions impr�vues, et si terribles que je n'en
perdrai jamais le souvenir. Je ne les pr�voyais pas si am�res, et je ne
comprends pas pourquoi vous me les avez donn�es. Pourtant, au moment o�
je sens qu'elles ont tout bris� entre nous, je sens aussi que la douleur
surpasse la col�re, et je ne veux pas que notre dernier adieu soit une
mal�diction.

Sabina effleura de ses l�vres le front de L�once, et ce baiser chaste et
triste, le seul qu'elle lui e�t donn� de sa vie, renoua le noeud qu'elle
croyait d�li�.

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Books | Photos | Paul Mutton | Sun 12th Jan 2025, 13:42