Sans dessus dessous by Jules Verne


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Page 8

Un Anglais, s’il en fut jamais, ce major Donellan, grand, maigre, osseux,
nerveux, anguleux, avec un cou de bécassine, une tête à la Palmerston sur des
épaules fuyantes, des jambes d’échassier, très vert sous ses soixante ans,
infatigable ­ et il l’avait bien montré, lorsqu’il travaillait à la
délimitation des frontières de l’Inde sur la limite de la Birmanie, Il ne riait
jamais et peut-être même n’avait-il jamais ri. À quoi bon?… Est-ce qu’on a
jamais vu rire une locomotive, une machine élévatoire ou un steamer?

En cela, le major différait essentiellement de son secrétaire Dean Toodrink ­
un garçon loquace, plaisant, la tête forte, des cheveux jouant sur le front, de
petits yeux plissés. Il était écossais de naissance, très connu dans la «
Vieille Enfumée » pour ses propos joyeux et son goût pour les calembredaines.
Mais, si enjoué qu’il fût, il ne se montrait pas moins personnel, exclusif,
intransigeant, que le major Donellan, lorsqu’il s’agissait des revendications
les moins justifiables de la Grande-Bretagne.

Ces deux délégués allaient évidemment être les plus acharnés adversaires de la
Société américaine. Le Pôle nord était à eux : il leur appartenait dès les
temps préhistoriques, comme si c’était aux Anglais que le Créateur avait donné
mission d’assurer la rotation de la Terre sur son axe, et ils sauraient bien
l’empêcher de passer entre des mains étrangères.

Il convient de faire observer que, si la France n’avait pas jugé à propos
d’envoyer de délégué ni officiel ni officieux, un ingénieur français était venu
« pour l’amour de l’art » suivre de très près cette curieuse affaire. On le
verra apparaître à son heure.

Les représentants des puissances septentrionales de l’Europe étaient donc
arrivés à Baltimore, et par des paquebots différents, comme des gens qui ne
tiennent à ne point s’influencer. C’étaient des rivaux. Chacun d’eux avait en
poche le crédit nécessaire pour combattre. Mais c’est bien le cas de dire
qu’ils n’allaient point combattre à armes égales. Celui-ci pouvait disposer
d’une somme qui n’atteignait pas le million, celui-là d’une somme qui le
dépassait. Et, en vérité, pour acquérir un morceau de notre sphéroïde, où il
semblait impossible de mettre le pied, cela devait paraître encore trop cher!
En réalité, le mieux partagé sous ce rapport, c’était le délégué anglais,
auquel le Royaume-Uni avait ouvert un crédit assez considérable. Grâce à ce
crédit, le major Donellan n’aurait pas grand’peine à vaincre ses adversaires
suédois, danois, hollandais et russe. Quant à l’Amérique, c’était autre chose :
il serait moins facile de la battre sur le terrain des dollars. En effet, il
était au moins probable que la mystérieuse Société devait avoir des fonds
considérables à sa disposition. La lutte à coups de millions se localiserait
vraisemblablement entre les États-Unis et la Grande-Bretagne.

Avec le débarquement des délégués européens, l’opinion publique commença à se
passionner davantage. Les racontars les plus singuliers coururent à travers les
journaux. D’étranges hypothèses s’établirent sur cette acquisition du Pôle
nord. Qu’en voulait-on faire? Et qu’en pouvait-on faire? Rien ­ à moins que ce
ne fût pour entretenir les glacières du Nouveau et de l’Ancien-Monde! Il y eut
même un journal de Paris, le Figaro, qui soutint plaisamment cette opinion.
Mais encore aurait-il fallu pouvoir franchir le quatre-vingt- quatrième
parallèle.

Cependant, les délégués, s’ils s’étaient évités pendant leur voyage
transatlantique, commencèrent à se rapprocher, lorsqu’ils furent arrivés à
Baltimore.

Voici pour quelles raisons :

Dès le début, chacun d’eux avait essayé de se mettre en rapport avec la _North
Polar Practical Association_, séparément, à l’insu les uns aux autres. Ce
qu’ils cherchaient à savoir pour en profiter, le cas échéant, c’étaient les
motifs cachés au fond de cette affaire, et quel profit la Société espérait en
tirer. Or, jusqu’à ce moment, rien n’indiquait qu’elle eût installé un office à
Baltimore. Pas de bureaux, pas d’employés. Pour renseignement, s’adresser à
William S. Forster, de High-street. Et il ne semblait pas que l’honnête
consignataire de morues en sût plus long à cet égard que le dernier portefaix
de la ville.

Les délégués ne purent dès lors rien apprendre. Ils en furent réduits aux
conjectures plus ou moins absurdes que propageaient les divagations publiques.
Le secret de la Société devait-il donc rester impénétrable, tant qu’elle ne
l’aurait pas fait connaître? On se le demandait. Sans doute, elle ne se
départirait de son silence qu’après acquisition faite.

Il suit de là que les délégués finirent par se rencontrer, se rendre visite, se
tâter, et finalement entrer en communication ­ peut-être avec l’arrière-pensée
de former une ligue contre l’ennemi commun, autrement dit la Compagnie
américaine.

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Books | Photos | Paul Mutton | Tue 9th Sep 2025, 5:39