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Page 3
« Il est bien spécifié que ce droit de propriété ne pourra être frappé de
caducité, même au cas où des modifications de quelque nature qu’elles soient
surviendraient dans l’état géographique et météorologique du globe terrestre.
« Ceci étant porté à la connaissance des habitants des deux Mondes, toutes les
Puissances seront admises à participer à l’adjudication, qui sera faite au
profit du plus offrant et dernier enchérisseur.
« La date de l’adjudication est indiquée pour le 3 décembre de la présente
année, en la salle des « Auctions », à Baltimore, Maryland, États-Unis
d’Amérique.
« S’adresser pour renseignements à William S. Forster, agent provisoire de la
_North Polar Practical Association_, 93, High-street, Baltimore. »
Que cette communication pût être considérée comme insensée, soit! En tout cas,
pour sa netteté et sa franchise, elle ne laissait rien à désirer, on en
conviendra. D’ailleurs, ce qui la rendait très sérieuse, c’est que le
gouvernement fédéral avait d’ores et déjà fait concession des territoires
arctiques, pour le cas où l’adjudication l’en rendrait définitivement
propriétaire.
En somme, les opinions furent partagées. Les uns ne voulurent voir là qu’un de
ces prodigieux « humbugs » américains, qui dépasseraient les limites du
puffisme, si la badauderie humaine n’était infinie. Les autres pensèrent que
cette proposition méritait d’être accueillie sérieusement. Et ceux-ci
insistaient précisément sur ce que la nouvelle Société ne faisait nullement
appel à la bourse du public. C’était avec ses seuls capitaux qu’elle prétendait
se rendre acquéreur de ces régions boréales. Elle ne cherchait donc point à
drainer les dollars, les bank-notes, l’or et l’argent des gogos pour emplir ses
caisses. Non! Elle ne demandait qu’à payer sur ses propres fonds l’immeuble
circumpolaire.
Aux gens qui savent compter, il semblait que ladite Société n’aurait eu qu’à
exciper tout simplement du droit de premier occupant, en allant prendre
possession de cette contrée dont elle provoquait la mise en vente. Mais là
était précisément la difficulté, puisque, jusqu’à ce jour, l’accès du Pôle
paraissait être interdit à l’homme. Aussi, pour le cas où les États-Unis
deviendraient acquéreurs de ce domaine, les concessionnaires voulaient-ils
avoir un contrat en règle, afin que personne ne vînt plus tard contester leur
droit. Il eût été injuste de les en blâmer. Ils opéraient avec prudence, et,
lorsqu’il s’agit de contracter des engagements dans une affaire de ce genre, on
ne peut prendre trop de précautions légales.
D’ailleurs, le document portait une clause, qui réservait les aléas de
l’avenir. Cette clause devait donner lieu à bien des interprétations
contradictoires, car son sens précis échappait, aux esprits les plus subtils.
C’était la dernière : elle stipulait que « le droit de propriété ne pourrait
être frappé de caducité, même au cas où des modifications de quelque nature
qu’elles fussent, surviendraient dans l’état géographique et météorologique
du globe terrestre. »
Que signifiait cette phrase? Quelle éventualité voulait-elle prévoir? Comment
la Terre pourrait-elle jamais subir une modification dont la géographie ou la
météorologie aurait à tenir compte surtout en ce qui concernait les
territoires mis en adjudication?
« Évidemment, disaient les esprits avisés, il doit y avoir quelque chose
là-dessous! »
Les interprétations eurent donc beau jeu, et cela était bien fait pour exercer
la perspicacité des uns ou la curiosité des autres.
Un journal, le _Ledger_, de Philadelphie, publia tout d’abord cette note
plaisante :
« Des calculs ont sans doute appris aux futurs acquéreurs des contrées
arctiques qu’une comète à noyau dur choquera prochainement la Terre dans des
conditions telles que son choc produira les changements géographiques et
météorologiques, dont se préoccupe ladite clause. »
La phrase était un peu longue, comme il convient à une phrase qui se prétend
scientifique, mais elle n’éclaircissait rien. D’ailleurs, la probabilité d’un
choc avec une comète de ce genre ne pouvait être acceptée par des esprits
sérieux. En tout cas, il était inadmissible que les concessionnaires se fussent
préoccupés d’une éventualité aussi hypothétique.
« Est-ce que, par hasard, dit le _Delta_, de la Nouvelle-Orléans, la nouvelle
Société s’imagine que la précession des équinoxes pourra jamais produire des
modifications favorables à l’exploitation de son domaine?
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