La Vénus d'Ille by Prosper Mérimée


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Page 10

Contre l'attente g�n�rale, M. Alphonse manqua la premi�re balle;
il est vrai qu'elle vint rasant la terre et lanc�e avec une force
surprenante par un Aragonais qui paraissait �tre le chef des
Espagnols.

C'�tait un homme d'une quarantaine d'ann�es, sec et nerveux, haut
de six pieds, et sa peau oliv�tre avait une teinte presque aussi
fonc�e que le bronze de la V�nus.

M. Alphonse jeta sa raquette � terre avec fureur. �C'est cette
maudite bague, s'�cria-t-il, qui me serre le doigt, et me fait
manquer une balle s�re!�

Il �ta, non sans peine, sa bague de diamants: je m'approchais pour
la recevoir; mais il me pr�vint, courut � la V�nus, lui passa la
bague au doigt annulaire, et reprit son poste � la t�te des
Illois. Il �tait p�le, mais calme et r�solu. D�s lors il ne fit
plus une seule faute, et les Espagnols furent battus compl�tement.
Ce fut un beau spectacle que l'enthousiasme des spectateurs: les
uns poussaient mille cris de joie en jetant leurs bonnets en
l'air; d'autres lui serraient les mains, l'appelant l'honneur du
pays. S'il e�t repouss� une invasion, je doute qu'il e�t re�u des
f�licitations plus vives et plus sinc�res. Le chagrin des vaincus
ajoutait encore � l'�clat de sa victoire.

�Nous ferons d'autres parties, mon brave, dit-il � l'Aragonais
d'un ton de sup�riorit�; mais je vous rendrai des points.�

J'aurais d�sir� que M. Alphonse f�t plus modeste, et je fus
presque pein� de l'humiliation de son rival.

Le g�ant espagnol ressentit profond�ment cette insulte. Je le vis
p�lir sous sa peau basan�e. Il regardait d'un air morne sa ra-
quette en serrant les dents; puis, d'une voix �touff�e, il dit
tout bas: Me lo pagar�s.

La voix de M. de Peyrehorade troubla le triomphe de son fils; mon
h�te, fort �tonn� de ne point le trouver pr�sidant aux appr�ts de
la cal�che neuve, le fut bien plus encore en le voyant tout en
sueur, la raquette � la main. M. Alphonse courut � la maison, se
lava la figure et les mains, remit son habit neuf et ses souliers
vernis, et cinq minutes apr�s nous �tions au grand trot sur la
route de Puygarrig. Tous les joueurs de paume de la ville et grand
nombre de spectateurs nous suivirent avec des cris de joie. �
peine les chevaux vigoureux qui nous tra�naient pouvaient-ils
maintenir leur avance sur ces intr�pides Catalans.

Nous �tions � Puygarrig, et le cort�ge allait se mettre en marche
pour la mairie, lorsque M. Alphonse, se frappant le front, me dit
tout bas:

�Quelle brioche! J'ai oubli� la bague! Elle est au doigt de la
V�nus, que le diable puisse emporter! Ne le dites pas � ma m�re au
moins. Peut-�tre qu'elle ne s'apercevra de rien.

-- Vous pourriez envoyer quelqu'un, lui dis-je.

-- Bah! mon domestique est rest� � Ille. Ceux-ci, je ne m'y fie
gu�re. Douze cents francs de diamants! cela pourrait en tenter
plus d'un. D'ailleurs que penserait-on ici de ma distraction? Ils
se moqueraient trop de moi. Ils m'appelleraient le mari de la
statue... Pourvu qu'on ne me la vole pas! Heureusement que l'idole
fait peur � mes coquins. Ils n'osent l'approcher � longueur de
bras. Bah! ce n'est rien; j'ai une autre bague.�

Les deux c�r�monies civile et religieuse s'accomplirent avec la
pompe convenable; et mademoiselle de Puygarrig re�ut l'anneau
d'une modiste de Paris, sans se douter que son fianc� lui faisait
le sacrifice d'un gage amoureux. Puis on se mit � table, o� l'on
but, mangea, chanta m�me, le tout fort longuement. Je souffrais
pour la mari�e de la grosse joie qui �clatait autour d'elle;
pourtant elle faisait meilleure contenance que je ne l'aurais
esp�r�, et son embarras n'�tait ni de la gaucherie ni de
l'affectation.

Peut-�tre le courage vient-il avec les situations difficiles.

Le d�jeuner termin� quand il plut � Dieu, il �tait quatre heures;
les hommes all�rent se promener dans le parc, qui �tait
magnifique, ou regard�rent danser sur la pelouse du ch�teau les
paysannes de Puygarrig, par�es de leurs habits de f�te. De la
sorte, nous employ�mes quelques heures. Cependant les femmes
�taient fort empress�es autour de la mari�e, qui leur faisait
admirer sa corbeille. Puis elle changea de toilette, et je
remarquai qu'elle couvrit ses beaux cheveux d'un bonnet et d'un
chapeau � plumes, car les femmes n'ont rien de plus press� que de
prendre, aussit�t qu'elles le peuvent, les parures que l'usage
leur d�fend de porter quand elles sont encore demoiselles.

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Books | Photos | Paul Mutton | Wed 30th Apr 2025, 1:50