Escal-Vigor by Georges Eekhoud


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Page 3

Plusieurs fois, dans le cours des si�cles, de sensuelles et
subversives h�r�sies avaient lev� dans ce pays � bouillant
temp�rament et d'une autonomie irr�ductible. Au royaume, devenu
tr�s protestant, de Kerlingalande, o� le luth�rianisme s�vissait
comme religion d'�tat, l'impi�t� latente et parfois explosive de
la population de Smaragdis repr�sentait un des soucis du
consistoire.

Aussi l'�v�que du dioc�se dont l'�le d�pendait venait-il d'y
envoyer un domin�[2] militant, plein d'astuce, sectaire malingre et
bilieux, nomm� Balthus Bomberg, qui br�lait de se distinguer et
qui s'�tait un peu rendu � Smaragdis comme � une croisade contre
de nouveaux Albigeois.

Sans doute en serait-il pour ses frais de cat�chisation. En d�pit
de la pression orthodoxe, l'�le pr�servait son fonds originel de
licence et de paganisme. Les h�r�sies des anversois Tanchelin et
Pierre l'Ardoisier qui, � cinq si�cles d'intervalle, avaient agit�
les pays voisins de Flandre et de Brabant, avaient pouss� de
fortes racines � Smaragdis et consolid� le caract�re primordial.

Toutes sortes de traditions et coutumes, en abomination aux autres
provinces, s'y perp�tuaient, malgr� les anath�mes et les
monitoires. La Kermesse s'y d�cha�nait en tourmentes charnelles
plus sauvages et plus d�brid�es qu'en Frise et qu'en Z�lande,
c�l�bres cependant par la fr�n�sie de leurs f�tes votives, et il
semblait que les femmes fussent poss�d�es tous les ans, � cette
�poque, de cette hyst�rie sanguinaire qui effr�na autrefois les
bourr�les de l'�v�que Olfgar.

Par cette loi bizarre des contrastes en vertu de laquelle les
extr�mes se touchent, ces insulaires, aujourd'hui sans religion
d�finie, demeuraient superstitieux et fanatiques, comme la plupart
des indig�nes des autres pays de brumes fant�males et de m�t�ores
hallucinants. Leur merveillosit� se ressentait des th�ogonies
recul�es, des cultes sombres et fatalistes de Thor et d'Odin; mais
d'�pres app�tits se m�laient � leurs imaginations fantasques, et
celles-ci exasp�raient leurs tendresses aussi bien que leurs
aversions.


II

Henry, nature passionn�e et de philosophie audacieuse, s'�tait
dit, non sans raison, que par ses affinit�s, il se sentirait chez
lui dans ce milieu bellement barbare et instinctif.

Il inaugurait m�me son av�nement de �Dykgrave� par une innovation
contre laquelle le domin� Balthus Bomberg devait infailliblement
fulminer, du haut de son pupitre pastoral. En effet, pour flatter
le sentiment autochtone, Henry avait invit� � sa table non
seulement quelques hobereaux et gros terriens, deux ou trois
artistes de ses amis de la ville, mais il avait convi� en masse de
simples fermiers, de petits armateurs, d'infimes patrons de
chalands et de voiliers, le garde-phare, l'�clusier, les chefs
d'�quipe de diguiers et jusqu'� de simples laboureurs. Avec ces
indig�nes, il avait pri� � cette cr�maill�re leurs femmes et leurs
filles.

Sur sa recommandation expresse, tous et toutes avaient rev�tu le
costume national ou d'uniforme. Les hommes se modelaient en des
vestes d'un velours mordor� ou d'un roux aveuglant, ouvrant sur
des tricots brod�s des attributs de leur profession: ancres,
instruments aratoires, t�tes de taureaux, outils de terrassiers,
tournesols, mouettes, dont le bariolage presque oriental se
d�tachait savoureusement sur le fond bleu marin, comme des
armoiries sur un �cusson. � de larges ceintures rouges brillaient
des boucles en vieil argent d'un travail � la fois sauvage et
touchant; d'autres exhibaient le manche en ch�ne sculpt� de leurs
larges couteaux; les gens de mer paradaient en grandes bottes
goudronn�es, des anneaux de m�tal fin adornaient le lobe de leurs
oreilles aussi rouges que des coquillages; les travailleurs de la
gl�be avaient le r�ble et les cuisses brid�s dans des pantalons de
m�me velours que celui de leur veste, et ces pantalons, collant du
haut, s'�largissaient depuis les mollets jusqu'au coup de pied.
Leur petit feutre rappelait celui des basochiens au temps de Louis
XI. Les femmes arboraient des coiffes � dentelles sous des
chapeaux coniques � larges brides, des corsages plus histori�s,
aux arabesques encore plus fantastiques que les gilets des hommes,
des jupes bouffantes du m�me velours et du m�me ton mordor� que
les vestes et les culottes; des jaserans ceignant trois fois leur
gorge, des pendants d'oreille d'un dessin antique quasi byzantin
et des bagues au chaton aussi gros que celui d'un anneau pastoral.

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Books | Photos | Paul Mutton | Tue 1st Apr 2025, 0:11