En Kabylie by J. Vilbort


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Page 8

--Pouah! c'est votre vin qui est de la poison, s'�crie le Conscrit en
faisant une affreuse grimace. C'�tait du bleu, le terrible bleu de Cette
qu'on boit � Alger, � Oran, � Constantine, � Biskra, � Laghouat, �
G�ryville, au nord, au sud, partout et jusqu'� Tougourt, o� le drapeau
tricolore flotte sur la lisi�re du Grand-D�sert. En Alg�rie, bordeaux,
bourgogne, m�con, c�te r�tie, crus de la Gironde ou crus du Rh�ne, du
bleu, toujours l'in�vitable bleu! Le plus f�cheux, c'est que ce vin, dur
� la gorge, pesant � l'estomac et qui offense tout palais d�licat, est
remont� avec du trois-six qui en fait une boisson aussi malsaine que
d�sagr�able. Et pourtant le soleil africain est l'amant de la vigne;
sous ses baisers ardents, elle s'�panouit, devient f�conde, et se couvre
de magnifiques grappes blondes ou vermeilles. A M�d�ah, j'ai d�gust�
d'excellents �chantillons de vins blancs ou rouges. L'Alg�rie, les
plateaux du littoral surtout, peuvent produire une grande richesse
vinicole: il ne faut pour cela que de bons vignerons.

Nous remontons en voiture, et bient�t nous arrivons au milieu
d'admirables cultures. Ce n'est pas la charrue arabe qui a ouvert des
sillons profonds dans cette terre brunie par des d�tritus s�culaires. Le
laboureur indig�ne effleure avec un soc trop court la surface du sol.
S'il rencontre un de ces pieds de palmier nain qui sont la vermine de la
Mitidja, il ne l'arrache point, mais tourne � l'entour avec son ch�tif
attelage de deux boeufs maigres: en sorte qu'un champ arabe est un
fouillis de mauvaises herbes au milieu desquelles le bl� est
parcimonieusement sem�. Ici, de ces cultures qui vous transportent tout
d'un coup dans la Beauce ou la Flandre, s'�l�ve, avec l'encens de
l'humus, un hymne sacr� � la C�r�s africaine dont la mamelle in�puisable
nourrissait jadis les conqu�rants du monde. Dans vingt ans, dans dix
ans, si la France ne d�daigne pas, comme aujourd'hui, d'attacher ses
l�vres � cette g�n�reuse mamelle, elle y puisera non seulement plus de
force et de bien-�tre pour elle-m�me, mais elle pourra encore par
surcro�t nourrir ses amis les Anglais. Ils se d�piteront peut-�tre de
manger le pain fran�ais; mais en appr�cieront-ils moins la saveur?

Des gar�ons et des filles aux yeux bleus, aux cheveux de filasse, la
b�che ou le r�teau sur l'�paule, sortent d'un vaste b�timent � gauche de
la route: les gens de la ferme de l'Oued Corso. Ils sont de pure race
germanique. Ils vont au travail en chantant de vieux _lieder_ de la
Westphalie ou de la Thuringe. Parfois sans doute leur regard se tourne
humide vers le clocher natal, sous lequel ach�ve de vivre pauvrement le
grand-p�re ou l'a�eule; mais, s'ils n'�taient pas heureux dans leur
nouvelle patrie, chanteraient-ils?

Nous arrivons au col des Beni-A�cha. En face de nous, � l'horizon, se
dresse un gigantesque bloc de pierre d'un bleu fonc�, presque noir, et
qui se d�coupe sur le ciel en ar�tes verticales. Sa masse imposante et
sombre est orn�e d'un collier de neige qui resplendit au soleil. Salut
au Djurjura! Salut � la r�publique kabyle! Par ce col ont pass� les
cohortes de Rome, les Vandales de Gens�ric, les Arabes de la premi�re et
de la deuxi�me invasion, les seffras de janissaires turcs. Tous se
flattaient d'imposer leur joug aux �paules berb�res. Mais le fier g�nie
de l'ind�pendance qui, du haut de ces pics, d�fiait tous les
conqu�rants, ne devait succomber qu'en 1857, sous les coups redoubl�s de
la France et au bout de vingt ans de combats h�ro�ques.

Dans la nuit du 17 au 18 mai 1837, huit jours apr�s l'attaque de la
Regha�a par les Kabyles, nos soldats p�n�tr�rent pour la premi�re fois
sur leur territoire par le col des Beni-A�cha. Ils trouv�rent l�, parmi
les ruines romaines du Bas-Empire, une inscription tronqu�e exprimant ce
voeu proph�tique: �Puisses-tu, � Christ! poss�der avec les tiens le pays
que nous voyons!�

Nous traversons l'Oued Isser, puis l'Oued Djem� qui sillonnent une
plaine ondul�e, tr�s-fertile, o� les cultures abondent. D'ici au pied du
Djurjura et m�me jusqu'� sa cime, nos yeux ne seront plus attrist�s par
ces grandes landes abandonn�es au palmier nain ou � la broussaille, qui
nous donnaient un avant-go�t du d�sert aux portes m�mes d'Alger. Plus on
avance en pays kabyle, et plus ou rencontre de terres labour�es. Les
moissons ne sont pas beaucoup plus riches qu'en pays arabe, les �pis
sont maigres et rares; des herbes parasites, parmi lesquelles pullulent
les pieds-d'alouette, d�vorent les meilleurs sucs de ces sillons
qu'ouvrit un soc trop court, et o� le grain fut sem� d'une main trop
avare. Mais ici du moins la terre n'est pas d�laiss�e comme dans la zone
d'Alger, o� les colons n'ont pas remplac� les indig�nes qui recul�rent
vers le sud devant l'invasion fran�aise. Les terrains incultes que nous
apercevons �� et l� ne sont que des champs en jach�re. Le Kabyle, comme
l'Arabe, �puise le sillon qui le nourrit; il ne lui apporte que peu ou
point d'engrais, laissant � la nature le soin de refaire le sol appauvri
par une ou plusieurs r�coltes. Mais ce n'est pas de sa part indiff�rence
ou paresse: le b�tail est rare en Kabylie, o� l'herbe et le fourrage
n'abondent pas. Donc, peu de fumier; ce qu'il y en a est n�cessaire aux
oliviers et aux figuiers, dont la racine ne trouve souvent sur le rocher
qu'une mince couche v�g�tale, insuffisante pour vivre. Le paysan berb�re
ne pratique gu�re jusqu'� pr�sent l'art des prairies artificielles;
d'ailleurs, o� ce n'est pas la terre, c'est souvent l'eau qui manque.
Aussi, l'hiver, n'a-t-il presque � offrir � ses boeufs et � ses ch�vres
que des feuilles de fr�ne; et ces bons animaux, qui font partie de sa
famille et ont leur place � son foyer, s'en contentent en voyant leur
ma�tre mordre dans une dure galette de glands doux.

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Books | Photos | Paul Mutton | Sat 19th Apr 2025, 3:08