Francia; Un bienfait n'est jamais perdu by George Sand


Main
- books.jibble.org



My Books
- IRC Hacks

Misc. Articles
- Meaning of Jibble
- M4 Su Doku
- Computer Scrapbooking
- Setting up Java
- Bootable Java
- Cookies in Java
- Dynamic Graphs
- Social Shakespeare

External Links
- Paul Mutton
- Jibble Photo Gallery
- Jibble Forums
- Google Landmarks
- Jibble Shop
- Free Books
- Intershot Ltd

books.jibble.org

Previous Page | Next Page

Page 27

Elle baisa les mains du prince, reprit son ch�le et voulut partir.

--C'est impossible, r�pondit-il en refermant la porte sur le nez de
Mozdar sans lui donner aucun ordre. Il te faut une voiture. Je t'en
envoie chercher une.

--Ce sera bien long, mon prince; dans ce quartier-ci, � deux heures du
matin, on n'en trouvera pas.

--Eh bien! je te reconduirai moi-m�me � pied; mais rien ne presse. Il
faut que tu me jures de quitter ton sot amant.

--Non, je ne veux pas vous jurer �a. Je n'ai jamais quitt� une personne
par pr�f�rence pour une autre; je ne me d�gage que quand on m'y oblige
absolument, et je n'en suis pas l� avec Guzman.

--Guzman! s'�cria Mourzakine en �clatant de rire, il s'appelle Guzman!

--Est-ce que ce n'est pas un joli nom? dit Francia interdite.

--Guzman, ou le _Pied de mouton_! reprit-il riant toujours, on nous
a parl� de �a l�-bas. Je sais la chanson: _Guzman ne conna�t pas
d'obstacles._

--Eh bien! oui, apr�s? _Le Pied de mouton _n'est pas une vilaine pi�ce
et la chanson est tr�s-bien. Il ne faut pas vous moquer comme �a!

--Ah! tu m'ennuies, � la fin dit Mourzakine, qui entrait dans un
paroxysme insurmontable; c'est trop de subtilit�s de conscience et cela
n'a pas le sens commun! Tu m'aimes, je le vois bien, je t'aime aussi,
je le sens; oui, je t'aime, ta petite �me me pla�t comme tout ton petit
�tre. Il m'a plu, il m'a �t� au coeur lorsque tu �tais une pauvre enfant
presque morte; tu m'as frapp�. Si j'avais su que tu avais d�j� quinze
ans!... Mais j'ai cru que tu n'en avais que douze! A pr�sent te voil�
dans l'�ge d'aimer une bonne fois, et que ce soit pour toute la vie si
tu veux! Si tu crois �a possible, moi, je ne demande pas mieux que de le
croire en te le jurant. Voyons, je te le jure, crois-moi, je t'aime!

Le lendemain, Francia �tait assise sur son petit lit, dans sa pauvre
chambre du faubourg Saint-Martin. Neuf heures sonnaient � la paroisse,
et ne s'�tant ni couch�e, ni lev�e, elle ne songeait pas � ouvrir ses
fen�tres et � d�jeuner. Elle n'�tait rentr�e qu'a cinq heures du matin;
Valentin l'avait ramen�e, et elle avait r�ussi � se faire ouvrir sans
�tre vue de personne, Dodore n'�tait pas rentr� du tout. Elle �tait donc
la depuis quatre grandes heures, plong�e dans de vagues r�veries, et
tout un monde nouveau se d�roulait devant elle.

Elle ne ressentait ni chagrin, ni fatigue; elle vivait dans une sorte
d'extase et n'e�t pu dire si elle �tait heureuse ou seulement �blouie.
Ce beau prince lui avait jur� de l'aimer toujours, et en la quittant
il le lui avait r�p�t� d'un air et d'un ton si convaincus, qu'elle se
laissait aller � le croire. Un prince! Elle se souvenait assez de la
Russie pour savoir qu'il y a tant de princes dans ce pays-l� que ce
titre n'est pas une distinction aussi haute qu'on le croit chez nous.
Ces princes qui tirent leur origine des r�gions caucasiques ont eu
parfois pour tout patrimoine une tente, de belles armes, un bon cheval,
un maigre troupeau et quelques serviteurs, moiti� bergers, moiti�
bandits. N'importe; en France, le titre de prince reprenait son prestige
aux yeux de la Parisienne, et le luxe relatif o� campait pour le moment
Mourzakine, riche en tout des deux cents louis donn�s par son oncle,
n'avait pas pour elle d'�chelle de comparaison. C'�tait dans son
imagination un prince des contes de f�es, et il �tait si beau! Elle
n'avait pas song� � lui plaire, elle s'en-�tait m�me d�fendue. Elle
avait bien r�solu, en allant chez lui, de n'�tre pas l�g�re, et elle
pensait avoir mis beaucoup de prudence et de sinc�rit� � se d�fendre.
Pouvait-elle r�sister jusqu'� faire de la peine � un homme � qui elle
devait la vie, celle de son fr�re, et peut-�tre le prochain retour de sa
m�re? Et cela, pour ne pas offenser M. Guzman, qui la battait et ne lui
�tait pas fid�le!

D'o� vient donc qu'elle avait comme des remords? Ce n'est pas qu'elle
e�t une peur imm�diate de Guzman: il ne venait jamais dans la matin�e et
il ne pouvait pas savoir qu'elle �tait rentr�e si tard. Le portier seul
s'en �tait aper�u et il la prot�geait par haine du perruquier, qui
l'avait bless� dans son amour-propre. Francia tenait �norm�ment � sa
r�putation. Sa r�putation! elle s'�tendait peut-�tre � une centaine de
personnes du quartier qui la connaissaient de vue ou de nom. N'importe,
il n'y a pas de petit horizon, comme il n'y a pas de petit pays. Elle
avait toujours fait dire d'elle qu'elle �tait sinc�re, d�sint�ress�e,
fid�le � ses pi�tres amants; elle ne voulait point passer pour une fille
qui se vend et elle cherchait le moyen de faire accepter la v�rit� sans
perdre de sa consid�ration; mais ses r�flexions n'avaient pas de suite,
l'enivrement de son cerveau dissipait ses craintes: elle revoyait le
beau prince � ses pieds, et pour la premi�re fois de sa vie elle �tait
accessible � la vanit� sans chercher � s'en d�fendre, prenant cette
ivresse nouvelle pour un genre d'amour enthousiaste qu'elle n'avait
jamais ressenti. Enfin l'arriv�e de Th�odore vint l'arracher � ses
contemplations.

Previous Page | Next Page


Books | Photos | Paul Mutton | Sun 21st Dec 2025, 8:08