Francia; Un bienfait n'est jamais perdu by George Sand


Main
- books.jibble.org



My Books
- IRC Hacks

Misc. Articles
- Meaning of Jibble
- M4 Su Doku
- Computer Scrapbooking
- Setting up Java
- Bootable Java
- Cookies in Java
- Dynamic Graphs
- Social Shakespeare

External Links
- Paul Mutton
- Jibble Photo Gallery
- Jibble Forums
- Google Landmarks
- Jibble Shop
- Free Books
- Intershot Ltd

books.jibble.org

Previous Page | Next Page

Page 1

Sur le flanc du merveilleux �tat-major imp�rial un jeune officier russe
d'une beaut� remarquable contenait avec peine la fougue de son cheval.
L'homme �tait de haute taille, mince, et d'autant plus serr� dans sa
ceinture d'ordonnance, dont les �pais glands d'or retombaient sur sa
cuisse, comme celle des myst�rieux personnages qu'on voit d�filer sur
les bas-relief perses de la d�cadence; peut-�tre m�me un antiquaire
e�t-il pu retrouver dans les traits et dans les ornements du jeune
officier un dernier reflet du type et du go�t de l'Orient barbare.

Il appartenait aux races m�ridionales que la conqu�te ou les alliances
ont insensiblement fondues dans l'empire russe. Il avait la beaut� du
profil, l'imposante largeur des yeux, l'�paisseur des l�vres, la
force un peu exag�r�e des muscles, temp�r�e par l'�l�gance des formes
modernes. La civilisation avait all�g� la puissance du colosse. Ce qui
en restait conservait quelque chose d'�trange et de saisissant qui
attirait et fixait les regards, m�me apr�s la surprise et l'attention
accapar�es d'abord par le tsar en personne.

Le cheval mont� par ce jeune homme s'impatientait de la lenteur du
d�fil�; on e�t dit que, ne comprenant rien � l'�tiquette observ�e,
il voulait s'�lancer en vainqueur dans la cit� dompt�e et fouler les
vaincus sous son galop sauvage. Aussi son cavalier, craignant de lui
voir rompre son rang et d'attirer sur lui un regard m�content de ses
sup�rieurs, le contenait-il avec un soin qui l'absorbait et ne lui
permettait gu�re de se rendre compte de l'accueil morne, douloureux,
parfois mena�ant de la population.

Le tsar, qui observait tout avec finesse et prudence, ne s'y m�prenait
pas et ne r�ussissait pas � cacher enti�rement ses appr�hensions.
La foule devenait si compacte que si elle se f�t resserr�e sur les
vainqueurs (l'un deux l'a racont� textuellement), ils eussent �t�
�touff�s sans pouvoir faire usage de leurs armes. Cette foul�e,
volontaire ou non, n'e�t pas fait le compte du principal triomphateur.
Il voulait entrer dans Paris comme l'ange sauveur des nations,
c'est-�-dire comme le chef de la coalition europ�enne. Il avait tout
pr�par� na�vement pour cette grande et cruelle com�die. La moindre
�motion un peu vive du public pouvait faire manquer son plan de mise en
sc�ne.

Cette �motion faillit se produire par la faute du jeune cavalier que
nous avons sommairement d�crit. Dans un moment o� sa monture semblait
s'apaiser, une jeune fille, pouss�e par l'affluence ou entra�n�e par
la curiosit�, se trouva d�passer la ligne des gardes nationaux qui
maintenaient l'ordre, c'est-�-dire le silence et la tristesse des
spectateurs. Peut-�tre qu'un l�ger fr�lement de son ch�le bleu ou de sa
robe blanche effraya le cheval ombrageux; il se cabra furieusement, un
de ses genoux fi�rement enlev�s atteignit l'�paule de la Parisienne, qui
chancela, et fut retenue par un groupe de faubouriens serr�s derri�re
elle. �tait-elle bless�e, ou seulement meurtrie? La consigne ne
permettait pas au jeune Russe de s'arr�ter une demi-seconde pour s'en
assurer: il escortait le tout-puissant tsar, il ne devait pas se
retourner, il ne devait pas m�me voir. Pourtant il se retourna, il
regarda, et il suivit des yeux aussi longtemps qu'il le put le groupe
�mu qu'il laissait derri�re lui. La grisette, car ce n'�tait qu'une
grisette, avait �t� enlev�e par plusieurs paires de bras vigoureux; en
un clin d'oeil, elle avait �t� transport�e dans un estaminet qui se
trouvait l�. La foule s'�tait instantan�ment resserr�e sur le vide fait
dans sa masse par l'incident rapide. Un instant, quelques exclamations
de haine et de col�re s'�taient �lev�es, et, pour peu qu'on y e�t
r�pondu dans les rangs �trangers, l'indignation se f�t peut-�tre allum�e
comme une tra�n�e de poudre. Le tsar, qui voyait et entendait tout sans
perdre son vague et implacable sourire, n'eut pas besoin d'un geste pour
contenir ses cohortes; on savait ses intentions. Aucune des personnes
de sa suite ne parut s'apercevoir des regards de menace qui embrasaient
certaines physionomies. Quelques impr�cations inarticul�es, quelques
poings �nergiquement dress�s se perdirent dans l'�loignement.
L'officier, cause involontaire de ce scandale, se flatta que ni le tsar,
ni aucun de ses g�n�raux n'en avaient pris note; mais le gouvernement
russe a des yeux dans le dos. La note �tait prise: le tsar devait
conna�tre le crime du jeune �tourdi qui avait eu la coquetterie de
choisir pour ce jour de triomphe la plus belle et la moins disciplin�e
de ses montures de service. En outre il serait inform� de l'expression
de regret et de chagrin que le jeune homme n'avait pas eu _l'exp�rience_
de dissimuler. Ceux qui firent ce rapport crurent aggraver la faute en
donnant ce dernier renseignement. Ils se trompaient. Le choix du cheval
indompt� fut regard� comme punissable, le regret manifest� rentrait
dans la com�die de sentiment dont les Parisiens devaient �tre touch�s.
L'inconvenance d'une �motion quelconque dans les rangs de l'escorte
imp�riale ne fut donc pas prise en mauvaise part.

Previous Page | Next Page


Books | Photos | Paul Mutton | Wed 8th May 2024, 1:53