Leone Leoni by George Sand


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Page 1

GEORGE SAND.

Nohant, janvier 1853.



I.

Nous �tions � Venise. Le froid et la pluie avaient chass� les promeneurs
et les masques de la place et des quais. La nuit �tait sombre et
silencieuse. On n'entendait au loin que la voix monotone de l'Adriatique
se brisant sur les �lots, et de temps en temps les cris des hommes
de quart de la fr�gate qui garde l'entr�e du canal Saint-Georges,
s'entre-croisant avec les r�ponses de la go�lette de surveillance.
C'�tait un beau soir de carnaval dans l'int�rieur des palais et des
th��tres; mais au dehors tout �tait morne, et les r�verb�res se
refl�taient sur les dalles humides, o� retentissait de loin en loin le
pas pr�cipit� d'un masque attard�, envelopp� dans son manteau.

Nous �tions tous deux seuls dans une des salles de l'ancien palais Nasi,
situ� sur le quai des Esclavons, et converti aujourd'hui en auberge, la
meilleure de Venise. Quelques bougies �parses sur les tables et la lueur
du foyer �clairaient faiblement cette pi�ce immense, et l'oscillation de
la flamme semblait faire mouvoir les divinit�s all�goriques peintes �
fresque sur le plafond. Juliette �tait souffrante, elle avait refus� de
sortir. �tendue sur un sofa et roul�e � demi dans son manteau d'hermine,
elle semblait plong�e dans un l�ger sommeil, et je marchais sans bruit
sur le tapis en fumant des cigarettes de _Serraglio_.

Nous connaissons, dans mon pays, un certain �tat de l'�me, qui est, je
crois, particulier aux Espagnols. C'est une sorte de qui�tude grave qui
n'exclut pas, comme chez les peuples tudesques et dans les caf�s de
l'Orient, le travail de la pens�e. Notre intelligence ne s'engourdit
pas durant ces extases o� l'on nous voit plong�s. Lorsque nous marchons
m�thodiquement, en fumant nos cigares, pendant des heures enti�res, sur
le m�me carr� de mosa�que, sans nous en �carter d'une ligne, c'est alors
que s'op�re le plus facilement chez nous ce qu'on pourrait appeler
la digestion de l'esprit; les grandes r�solutions se forment en de
semblables moments, et les passions soulev�es s'apaisent pour enfanter
des actions �nergiques. Jamais un Espagnol n'est plus calme que
lorsqu'il couve quelque projet ou sinistre ou sublime. Quant � moi,
je dig�rais alors mon projet; mais il n'avait rien d'h�ro�que ni
d'effrayant. Quand j'eus fait environ soixante fois le tour de la
chambre et fum� une douzaine de cigarettes, mon parti fut pris. Je
m'arr�tai aupr�s du sofa, et, sans m'inqui�ter du sommeil de ma jeune
compagne:-Juliette, lui dis-je, voulez-vous �tre ma femme?

Elle ouvrit les yeux et me regarda sans r�pondre. Je crus qu'elle ne
m'avait pas entendu, et je r�it�rai ma demande.

-J'ai fort bien entendu, r�pondit-elle d'un ton d'indiff�rence, et elle
se tut de nouveau.

Je crus que ma demande lui avait d�plu, et j'en con�us une col�re et une
douleur �pouvantables; mais, par respect pour la gravit� espagnole, je
n'en t�moignai rien, et je me remis � marcher autour de la chambre.

Au septi�me tour, Juliette m'arr�ta en me disant:

-A quoi bon?

Je fis encore trois tours de chambre; puis je jetai mon cigare, et,
tirant une chaise, je m'assis aupr�s d'elle.

-Votre position dans le monde, lui dis-je, doit vous faire souffrir?

-Je sais, r�pondit-elle en soulevant sa t�te ravissante et en fixant
sur moi ses yeux bleus o� l'apathie semblait toujours combattre la
tristesse, oui, je sais, mon cher Aleo, que je suis fl�trie dans le
monde d'une d�signation ineffa�able: fille entretenue.

-Nous l'effacerons, Juliette; mon nom purifiera le v�tre.

-Orgueil des grands! reprit-elle avec un soupir. Puis se tournant tout
� coup vers moi, et saisissant ma main, qu'elle porta malgr� moi � ses
l�vres:-En v�rit�! ajouta-t-elle, vous m'�pouseriez, Bustamente? O mon
Dieu! mon Dieu! quelle comparaison vous me faites faire!

-Que voulez-vous dire, ma ch�re enfant? lui demandai-je. Elle ne me
r�pondit pas et fondit en larmes.

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