L'influence d'un livre by Philippe Aubert de Gaspé


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Page 26

Ah qui plaindra jamais cet ennui d�vorant,
Les extases d'espoir, les fureurs solitaires,
D'un grand homme ignor� qui lui seul se comprend.

CASIMIR DELAVIGNE.

Il l'avait con�u, lui, cette id�e, avant le po�te, et que de
consolations ne lui donnait-elle pas au milieu d'un monde railleur
et m�prisant. La n�cessit�, le malheur l'avaient rendu morose. Il
r�pondait un jour, avec une am�re ironie, � un sarcasme qui lui �tait
adress�: �Continuez, continuez, le m�pris vaut mieux que la piti� au
malheur qu'on ne soulage pas.� Sheridan Knowles sentait-il, comme
lui, la force de cette v�rit� lorsqu'il a fait dire � saint
Pierre:

Nay cuff again, that they may fall the heaven
Satisfied that he who does brain thee, Poverty,
Does thee a thousand times the good he does the ill.

_The Wife._

Quelles pouvaient �tre les pens�es qui l'occupaient dans ce moment?
Il songeait � son �l�vation future; car il n'avait plus un doute.
Tout d�pendait de lui seul maintenant! Il y avait pr�s d'une heure
qu'il �tait enseveli dans ses r�veries, lorsqu'un homme sortit,
tout � coup, du bois qui entourait sa chaumi�re et lui frappa sur
l'�paule. Le nouvel arriv� �tait d'une taille m�diocre, mais assez
bien proportionn�e; sa figure ouverte annon�ait une assurance ferme
en ses propres forces, son visage n'avait rien de repoussant, mais sa
bouche �tait loin de l'embellir. Le dix-neuvi�me si�cle est convenu
d'appeler monstre tout ce qui est extraordinaire, et les �crivains de
ce si�cle f�cond se servent toujours du mot type; or cette bouche
�tait une bouche monstre: le type de toutes les bouches monstres.
Ceux qui en doutent peuvent en voir la dimension au presbyt�re de
Saint-Jean-Port-Joli; car moyennant un minot de pois, il a consenti �
la laisser mesurer, au compas, et le rayon en est encore marqu� sur
la porte. Passons � ses qualit�s intellectuelles: il savait � peine
lire: ce qui ne l'emp�chait pas d'avoir la modestie de se croire un
homme des plus scientifiques et de trancher toutes les questions
qu'on lui pr�sentait, sans difficult�. Amand seul avait su lui en
imposer; parce qu'il savait des mots plus longs et plus difficiles �
prononcer que lui. Notre h�ros s'�tait trouv� dans la n�cessit� de
lui confier son secret; car ne pouvant conduire une chaloupe, il lui
fallait quelqu'un pour le traverser � la c�te nord-ouest du fleuve.
Il lui avait donc expliqu� le but de son voyage � la capitale, et lui
avait fait promettre de l'accompagner � son retour.

--Eh bien, Amand, dit-il, en l'abordant, as-tu tout ce qu'il te
faut?

--Chut, Capistrau, parle plus bas; je ne t'ai pas vu dans le bois;
d'autres pourraient bien nous entendre � notre insu. Rentrons.

--Partons-nous demain?

--Sans doute; o� est la chaloupe?

--Je l'ai laiss�e dans l'anse, pr�te � faire voile quand tu
voudras.

--Allons, c'est bien, demain, � la mar�e montante, si le vent est
bon.

--Dans ce cas-l�, dit le Capistrau, je vais me jeter sur ton lit,
car je suis fatigu�.

--Moi aussi, dit Amand; j'ai fait sept lieues aujourd'hui.

Sans aucun autre pr�paratif, les amis se jet�rent sur le mauvais
grabat, et le sommeil ne tarda pas � clore leurs paupi�res.

Le lendemain, vers les six heures du matin, deux hommes �taient
occup�s � mettre une embarcation � l'eau, dans l'anse aux
Pierre-Jean, et une demi-heure apr�s, la chaloupe, couverte de toutes
ses voiles, filait huit noeuds � l'heure vers la c�te du nord. Vers
une heure, nos deux aventuriers distingu�rent, pr�s de la baie
Saint-Paul, le cap au Corbeau. Ce cap a quelque chose de majestueux
et de lugubre. � quelque distance on le prendrait pour un de ces
immenses tombeaux jet�s au milieu des d�serts de l'�gypte par la
folle vanit� de quelque ch�tif mortel. Une nu�e d'oiseaux, enfants
des temp�tes, voltigent, continuellement, autour de son front
couronn� de sapins et semblent, par leur croassement sinistre,
entonner le glas fun�bre de quelque mourant. Le fleuve s'engloutit
avec fracas dans sa base en forme de caverne, o� la voix de l'homme
n'a jamais retenti. Or, c'�tait dans cette caverne qu'Amand voulait
p�n�trer. Il aurait bien voulu porter imm�diatement vers cet endroit;
mais son compagnon, plus prudent, s'effor�a de l'en dissuader, en lui
persuadant qu'ils feraient mieux de mettre � terre le long de la
c�te, et de se rendre � pied jusqu'� la caverne pour la visiter avant
la nuit. Il lui raconta, en outre, plusieurs vieilles l�gendes
touchant certains vaisseaux qui, conduits par des ilotes imprudents,
s'�taient engouffr�s, � pleine voile, sous son immense vo�te, et
n'avaient jamais reparu. Amand �tait si confiant dans les pr�cieux
talismans qu'il portait sur lu qu'il ne voulait rien entendre; mais
il fut oblig� de c�der son compagnon qui �tait pour le moins aussi
ent�t� que lu et qui s'obstinait � faire route vers la c�te voisine.
Trois quarts d'heures apr�s, ils abattaient leurs voiles et jetaient
l'ancre � deux brasses sur un bon fond de sable. Aussit�t que notre
h�ros impatient eut mis pied � terre, il s'achemina imm�diatement
vers le cap qui pouvait �tre � une demi-lieue de distance. Capistrau,
apr�s avoir mis tout en ordre dans la chaloupe, h�ta le pas pour le
rejoindre, si bien qu'ils arriv�rent ensemble, apr�s dix minutes de
marche, au lieu tant d�sir�. Il �tait impossible de parvenir � la
caverne, de ce c�t�, sans monter � une hauteur de quatre cents pieds
par un sentier rude et tortueux trac� sur le flanc de la montagne par
les voyageurs curieux qui visitent souvent cette curiosit� naturelle.
Apr�s bien des peines et des sueurs, nos deux aventuriers parvinrent
au sommet, presque ext�nu�s; mais l'�puisement physique ne fut rien
compar� � la consternation qui s'empara du coeur de notre h�ros
lorsqu'il d�couvrit qu'il �tait impossible d'arriver � l'ouverture
autrement que par le fleuve et qu'il vit le courant imp�tueux qui,
semblable � une chute, s'y pr�cipitait avec fracas. Il jeta un regard
douloureux sur son compagnon et soupira en se croisant les bras.
Capistrau prit la parole:--Tiens, Amand, dit-il, tu dois �tre
persuad� qu'il est impossible de rentrer l�-dedans; quant � moi je
n'y ai jamais eu de confiance; crois-m'en, nous ferons mieux de
chercher ailleurs, aussi bien, je me rappelle d'avoir entendu dire �
mon grand-p�re qu'un seigneur qui passait pour tr�s riche �tait mort
dans cette paroisse et que, malgr� toutes les recherches qu'on a pu
faire, on n'a jamais trouv� un sol chez lui; et beaucoup de personnes
ont dit qu'il avait coutume d'enterrer son argent dans le bois qui
avoisinait son domaine. Si tu veux m'en croire nous allons nous
rendre aux maisons pour nous reposer, en attendant la nuit, et vers
minuit nous irons faire une recherche. Pour que personne ne se doute
de nous, nous dirons que nous voulons coucher dans la chaloupe o�
nous retournerons apr�s la veill�e.

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Books | Photos | Paul Mutton | Sat 20th Dec 2025, 10:30