L'influence d'un livre by Philippe Aubert de Gaspé


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Page 23

Le vieillard se redressa sur son banc, et l'indignation la plus
marqu�e parut sur ses traits s�v�res.

--Allons, monsieur Amand, dit le jeune clerc notaire, il ne faudrait
jamais avoir mis le nez dans la science pour ne pas savoir que toutes
ces histoires d'apparitions ne sont que des contes que les
grands-m�res inventent pour endormir leurs petits-enfants.

Ici, le mendiant ne put se contenir davantage:

--Et moi, monsieur, je vous dis qu'il y a des apparitions, des
apparitions terribles, et j'ai lieu d'y croire, ajouta-t-il, en
pressant fortement ses deux mains sur sa poitrine.

--� votre �ge, p�re, les nerfs sont faibles, les facult�s affaiblies,
le manque d'�ducation, que sais-je, r�pliqua l'�rudit.

--� votre �ge! � votre �ge! r�p�ta le mendiant, ils n'ont que ce mot
dans la bouche. Mais, monsieur le notaire, � votre �ge, moi, j'�tais
un homme; oui, un homme. Regardez, dit-il, en se levant avec peine �
l'aide de son b�ton; regardez, avec d�dain m�me, si c'est votre bon
plaisir, ce visage �tique, ces yeux �teints, ces bras d�charn�s, tout
ce corps amaigri; eh bien, monsieur, � votre �ge, des muscles d'acier
faisaient mouvoir ce corps qui n'est plus aujourd'hui qu'un spectre
ambulant. Quel homme osait alors, continua le vieillard, avec
�nergie, se mesurer avec Rodrigue, surnomm� Bras-de-fer? et quant �
l'�ducation, sans avoir mis, aussi souvent que vous, le nez dans la
science, j'en avais assez pour exercer une profession honorable, si
mes passions ne m'eussent aveugl�; eh bien, monsieur, � vingt-cinq
ans une vision terrible, et il y a de cela soixante ans pass�s, m'a
mis dans l'�tat de marasme o� vous me voyez. Mais, mon Dieu, s'�cria
le vieillard, en levant vers le ciel ses deux mains d�charn�es: si
vous m'avez permis de tra�ner une si longue existence, c'est que
votre justice n'�tait pas satisfaite! je n'avais pas expi� mes crimes
horribles! Qu'ils puissent enfin s'effacer, et je croirai ma
p�nitence trop courte!

Le vieillard, �puis� par cet effort, se laissa tomber sur son si�ge,
et des larmes coul�rent le long de ses joues �tiques.

--�coutez, p�re, dit l'h�te, je suis certain que monsieur n'a pas eu
intention de vous faire de la peine.

--Non, certainement, dit le jeune clerc, en tendant la main au
vieillard, pardonnez-moi; ce n'�tait qu'un badinage.

--Comment ne vous pardonnerais-je pas, dit le mendiant, moi qui ai
tant besoin d'indulgence.

--Pour preuve de notre r�conciliation, dit le jeune homme,
racontez-nous, s'il vous pla�t, votre histoire.

--J'y consens, dit le vieillard, puisque la morale qu'elle renferme
peut vous �tre utile, et il commen�a ainsi son r�cit:

--� vingt ans j'�tais un cloaque de tous les vices r�unis:
querelleur, batailleur, ivrogne, d�bauch�, jureur et blasph�mateur
inf�me. Mon p�re, apr�s avoir tout tent� pour me corriger, me maudit,
et mourut ensuite de chagrin. Me trouvant sans ressources, apr�s
avoir dissip� mon patrimoine, je fus trop heureux de trouver du
service comme simple engag� de la compagnie de Labrador. C'�tait au
printemps de l'ann�e 17--, il pouvait �tre environ midi, nous
descendions dans la go�lette _La Catherine_, par une jolie brise;
j'�tais assis sur la lisse du gaillard d'arri�re, lorsque le
capitaine assembla l'�quipage et lui dit: ah �a, enfants, nous
serons, sur les quatre heures, au poste du diable; qui est celui
d'entre vous qui y restera? Tous les regards se tourn�rent vers moi,
et tous s'�cri�rent unanimement: ce sera Rodrigue Bras-de-fer. Je vis
que c'�tait concert�; je serrai les dents avec tant de force que je
coupai en deux le manche d'acier de mon calumet, et frappant avec
force sur la lisse o� j'�tais assis, je r�pondis dans un acc�s de
rage: oui, mes mille tonnerres, oui, ce sera moi; car vous seriez
trop l�ches pour en faire autant; je ne crains ni Dieu, ni diable,
et quand Satan y viendrait je n'en aurais pas peur. Bravo!
s'�cri�rent-ils tous. Huzza! pour Rodrigue. Je voulus rire � ce
compliment; mais mon ris ne fut qu'une grimace affreuse, et mes dents
s'entrechoqu�rent comme dans un violent acc�s de fi�vre. Chacun alors
m'offrit un coup, et nous pass�mes l'apr�s-midi � boire. Ce poste de
peu de cons�quence �tait toujours gard�, pendant trois mois, par un
seul homme qui y faisait la chasse et la p�che, et quelque petit
trafic avec les sauvages. C'�tait la terreur de tous les engag�s, et
tous ceux qui y �taient rest�s, avaient racont� des choses �tranges
de cette retraite solitaire; de l�, son nom de poste du diable--en
sorte que depuis plusieurs ann�es on �tait convenu de tirer au sort
pour celui qui devait l'habiter. Les autres engag�s qui connaissaient
mon orgueil savaient bien qu'en me nommant unanimement, la honte
m'emp�cherait de refuser, et par l�, ils s'exemptaient d'y rester
eux-m�mes, et se d�barrassaient d'un compagnon brutal, qu'ils
redoutaient tous.

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Books | Photos | Paul Mutton | Sat 20th Dec 2025, 4:32