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Page 1
Mais ne fut-il point toujours dans les privil�ges de la beaut�
d'engendrer les combats, tout de m�me que si V�nus �tait la m�re de Mars
et non plus son amante? Que dire si cette beaut�, celle-l� m�me dont
Platon avait plac� l'Id�e dans le ciel, choisit d'habiter deux figures?
Nous en v�mes le danger, aussit�t que l'on vous aper�ut,
MADAME,
aupr�s de Mademoiselle de Champagne, ou bien ce soir encore, que c'�tait
d�j� Madame d'Epernon. Toute la Cour, �tonn�e d'abord que deux si
parfaites beaut�s ne cheminassent pas sur des nues, en vint bient�t �
disputer quelle des deux, � descendre parmi nous, sacrifiait le plus de
divinit�. Ainsi divis�e en deux camps, je pense qu'elle en f�t venue aux
mains, non moins qu'aux jours de cette barbare galanterie o� le glaive
d�cidait de la pr�s�ance des charmes, si la pr�sence auguste d'un prince
qui commande � son gr� la paix ou la guerre n'avait retenu au fourreau
tant d'impatientes �p�es.
Quant � moi, � devoir prendre parti, et pour tant qu'il f�t l�gitime de
balancer, le nom que j'inscris au fronton de cet ouvrage dit assez haut
de quel c�t� j'aurais combattu. Trop heureux si de le m�ler � une oeuvre
aussi imparfaite n'est pas outrepasser mon devoir, et si, r�duit � me
couvrir de vos propres maximes, mon seul recours n'est pas de r�p�ter
apr�s vous: �Tout le devoir du monde ne vaut pas une faute commise par
tendresse.�
Celui-l� seul except�, qui est de me dire
Madame,
Votre tr�s humble admirateur
PAUL-JEAN TOULET.
Mon amie Nane
�Quae est ista, quae progreditur ut luna?�
(_Cantic. cantic._)
Quelle est cette jeune personne qui s'avance vers nous,
et dont les traits n'annoncent
pas une vive intelligence?
Cette amie que je veux te montrer sous le linge, � lecteur, ou bien
par�e des mille ajustements qui �taient comme une seconde figure de sa
beaut�, ne fut qu'une fille de joie--et de tristesse.
En v�rit�, si tu ne sais entendre que les choses qui sont exprim�es
par le langage, mon amie ne t'aurait offert aucun sens; mais peut-�tre
l'eusses-tu jug�e stupide. Car, le plus souvent, ses paroles--que
l'ivresse m�me les dict�t--ne signifiaient rien, semblables � des
grelots qu'agite un matin de carnaval; et sa cervelle �tait comme cette
mousse qu'on voit se tourner en poussi�re sur les rocs br�lants de
l'�t�.
Et pourtant elle a march� devant moi telle que si ma propre pens�e,
�pousant les nombres o� la beaut� est soumise, avait rev�tu un corps
glorieux. �nigme elle-m�me, elle m'a r�v�l� parfois un peu de la Grande
�nigme: c'est alors qu'elle m'apparaissait comme un microcosme; que
ses gestes figuraient � mes yeux l'ordre m�me et la raison cach�e des
apparences o� nous nous agitons.
En elle j'ai compris que chaque chose contient toutes les autres choses,
et qu'elle y est contenue. De m�me que l'�me aromatique de Cern�, un
sachet la garde prisonni�re; ou qu'on peut deviner dans un sourire de
femme tout le secret de son corps; les objets les plus disparates--Nane
me l'enseigna--sont des correspondances; et tout �tre, une image de cet
infini et de ce multiple qui l'accablent de toutes parts.
Car sa chair, o� tant d'artistes et de voluptueux go�t�rent leur joie,
n'est pas ce qui m'a le plus �pris de Nane la bien model�e. Les courbes
de son flanc ou de sa nuque, dont il semble qu'elles aient ob�i au pouce
d'un potier sans reproche, la d�licatesse de ses mains, et son front
orgueilleusement recourb�, comme aussi ces caresses singuli�res qui
inventaient une volupt� plus vive au milieu m�me de la volupt�, se
peuvent d�couvrir en d'autres personnes. Mais Nane �tait bien plus que
cela, un signe �crit sur la muraille, l'hi�roglyphe m�me de la vie: en
elle, j'ai cru contempler le monde.
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