Les tendres ménages by Paul Jean Toulet


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Page 2

Et puis, comme il faut faire quelque chose:

--Si on allait jusqu'au Gave, propose quelqu'un.

C'est la promenade classique du cru. A travers l'�troite vall�e,
quadrill�e de menus champs, on s'y rend entre des haies d'�glantine et
de sureau, sur un sol noir comme un chemin d'�gypte, jusqu'au bac qui
remplace le pont suspendu emport� r�cemment par une crue du Gave. Et M.
de Ribes explique, mais non point pour la premi�re fois, comment ce fut
la faute des ing�nieurs, et des ing�nieux travaux dont ils ont voulu
mettre les cultures � l'abri de l'inondation.

Cependant de lents paysans, au geste circonspect, reviennent vers
le village en poussant du b�tail devant eux. Ils ont les pommettes
saillantes, une bouche narquoise ras�e de pr�s, l'oeil paisible � la
fois et astucieux. Parfois c'est un essieu qui crie. On voit pesamment
approcher le char, tout noir sur le ciel de nacre. L'homme s'y tient
debout, aiguillonnant ses boeufs, et chante une chanson vieille, lente,
triste, qu'il interrompt pour saluer.

--Adichats, moussu No�l, et la compagnie.

Et voici le Gave. Sous le soir nuanc�, il court rapide et lumineux entre
les hautes berges. On voit se d�tacher le bac de l'autre rive, pareil �
une d�coupure noire. Un groupe immobile et pr�cis de b�tes, d'outils,
de gens l'occupe, qu'animent seuls les bras du passeur hissant sur sa
corde, tandis que, par �-coups, se fait entendre le roulement menu de la
poulie sur le c�ble.

--La soir�e est douce, dit Sylv�re. Pourquoi ne passerions-nous pas
l'eau?

Mais Mme de Ribes objecte qu'il se fait tard, et son mari non plus ne
para�t pas insensible � l'id�e de d�ner, en sorte qu'on se d�cide �
rentrer au ch�teau. Cependant les deux chiens de montagne, que l'on fait
d'ordinaire traverser � la nage, sont descendus au bord de l'eau qu'ils
flairent avec convoitise.

--Ici, Tom. Ici, Djaly!

Et l'on s'en va. La nuit maintenant est presque tout � fait tomb�e:
chacun semble en devenir plus grave. Les deux jeunes gens eux-m�mes
sentent l'heure bleue filtrer obscur�ment jusqu'� leur coeur, et le plus
�g�, celui qui sort de la caserne, prononce p�remptoirement.

--Il fait mucre.

Comme il a coutume d'appliquer indiff�remment cette �pith�te � tous les
ciels, serait-ce Aden ou les deux P�les, sa famille a, depuis longtemps,
cess� d'en rechercher le sens. Personne ne r�pond. Sylv�re et son fianc�
se sont attard�s un peu en arri�re. Par moments l'oreille maternelle de
Mme de Ribes distingue la voix de la jeune fille.

--Quand nous serons mari�s... lui entend-elle dire.


C'est ainsi que, par un trop doux matin d'automne, Sylv�re (�pouse
Mariolles) s'est r�veill�e toute seule dans un lit vaste, orn� de
dentelles, et d'ailleurs frip�. Sa t�te est, comme un pavot sec, pleine
d'une poussi�re de sommeil. Elle r�fl�chit, un bras nu repli� sous sa
nuque, � diverses circonstances de la veille et de la nuit. Ils �taient
arriv�s � Hargou�t par une fin de coucher de soleil verte et ros�,
d�licieuse. Au moment o� la voiture s'�tait arr�t�e devant la grande
porte, que surmonte un �cusson martel� aux mauvais jours, les paons
avaient cri� dans les c�dres, et Pierre, le jardinier, �tait accouru
avec une lanterne pour �clairer l'�curie. Puis c'�tait Ursule, sa
vieille bonne d'autrefois, qui �tait venue l'aider � descendre, et
l'embrasser en pleurant, quoiqu'il n'y e�t pas � cette douleur de
raisons bien apparentes. Et puis on avait soupe un peu, car Sylv�re
�tait de cette bonne race de campagnardes que les �motions creusent. Et
puis, et puis......

A ce moment on frappe, et un monsieur � pantalon de soie ample et
camisole entre de l'air le plus naturel du monde. Sylv�re n'a pas eu
assez de lumi�re encore, ou de loisir, pour pr�ter attention � ce galant
d�shabill�, et elle l'admire dans son coeur; car peut-�tre est-il
inutile de dire que, n'ayant point voyag� sur les Messageries Maritimes,
elle n'est point initi�e aux myst�res du pyjama. Elle ignore de m�me
qu'un jour son mari vieillissant reviendra � la banni�re de ses
p�res. Il y a bien d'autres choses que Sylv�re ignore, et encore lui
semble-t-il avoir beaucoup appris depuis la veille.

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Books | Photos | Paul Mutton | Thu 28th Mar 2024, 21:46