Bruges-la-morte by Georges Rodenbach


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Page 1

_C'est pourquoi il importe, puisque ces d�cors de Bruges
collaborent aux p�rip�ties, de les reproduire �galement ici,
intercal�s entre les pages: quais, rues d�sertes, vieilles
demeures, canaux, b�guinage, �glises, orf�vrerie du culte,
beffroi, afin que ceux qui nous liront subissent aussi la pr�sence
et l'influence de la Ville, �prouvent la contagion des eaux mieux
voisines, sentent � leur tour l'ombre des hautes tours allong�e
sur le texte._



I

Le jour d�clinait, assombrissant les corridors de la grande
demeure silencieuse, mettant des �crans de cr�pe aux vitres.

Hugues Viane se disposa � sortir, comme il en avait l'habitude
quotidienne � la fin des apr�s-midi. Inoccup�, solitaire, il
passait toute la journ�e dans sa chambre, une vaste pi�ce au
premier �tage, dont les fen�tres donnaient sur le quai du Rosaire,
au long duquel s'alignait sa maison, mir�e dans l'eau.

Il lisait un peu: des revues, de vieux livres; fumait beaucoup;
r�vassait � la crois�e ouverte par les temps gris, perdu dans ses
souvenirs.

Voil� cinq ans qu'il vivait ainsi, depuis qu'il �tait venu se
fixer � Bruges, au lendemain de la mort de sa femme. Cinq ans
d�j�! Et il se r�p�tait � lui-m�me: �Veuf! �tre veuf! Je suis le
veuf!� Mot irr�m�diable et bref! d'une seule syllabe, sans �cho.
Mot impair et qui d�signe bien l'�tre d�pareill�.

Pour lui, la s�paration avait �t� terrible: il avait connu l'amour
dans le luxe, les loisirs, le voyage, les pays neufs renouvelant
l'idylle. Non seulement le d�lice paisible d'une vie conjugale
exemplaire, mais la passion intacte, la fi�vre continu�e, le
baiser � peine assagi, l'accord des �mes, distantes et jointes
pourtant, comme les quais parall�les d'un canal qui m�le leurs
deux reflets.

Dix ann�es de ce bonheur, � peine senties, tant elles avaient
pass� vite!

Puis, la jeune femme �tait morte, au seuil de la trentaine,
seulement alit�e quelques semaines, vite �tendue sur ce lit du
dernier jour, o� il la revoyait � jamais: fan�e et blanche comme
la cire l'�clairant, celle qu'il avait ador�e si belle avec son
teint de fleur, ses yeux de prunelle dilat�e et noire dans de la
nacre, dont l'obscurit� contrastait avec ses cheveux, d'un jaune
d'ambre, des cheveux qui, d�ploy�s, lui couvraient tout le dos,
longs et ondul�s. Les Vierges des Primitifs ont des toisons
pareilles, qui descendent en frissons calmes.

Sur le cadavre gisant, Hugues avait coup� cette gerbe, tress�e en
longue natte dans les derniers jours de la maladie. N'est-ce pas
comme une piti� de la mort? Elle ruine tout, mais laisse intactes
les chevelures. Les yeux, les l�vres, tout se brouille et
s'effondre. Les cheveux ne se d�colorent m�me pas. C'est en eux
seuls qu'on se survit! Et maintenant, depuis les cinq ann�es d�j�,
la tresse conserv�e de la morte n'avait gu�re p�li, malgr� le sel
de tant de larmes.

Le veuf, ce jour-l�, rev�cut plus douloureusement tout son pass�,
� cause de ces temps gris de novembre o� les cloches, dirait-on,
s�ment dans l'air des poussi�res de sons, la cendre morte des
ann�es.

Il se d�cida pourtant � sortir, non pour chercher au dehors
quelque distraction oblig�e ou quelque rem�de � son mal. Il n'en
voulait point essayer. Mais il aimait cheminer aux approches du
soir et chercher des analogies � son deuil dans de solitaires
canaux et d'eccl�siastiques quartiers.

En descendant au rez-de-chauss�e de sa demeure, il aper�ut, toutes
ouvertes sur le grand corridor blanc, les portes d'ordinaire
closes.

Il appela dans le silence sa vieille servante: �Barbe!...
Barbe!...�

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Books | Photos | Paul Mutton | Sat 20th Apr 2024, 13:38